BELLOTTO BERNARDO (1720-1780)
Article modifié le
À l'époque où le jeune Bellotto commence son apprentissage chez son oncle Canaletto — vers 1735 —, la qualité de la vie artistique et intellectuelle à Venise, l'éclat des fêtes, l'activité des imprimeries et de la presse périodique assurent à la ville des doges un rayonnement qui atteint les principales capitales européennes. Madrid et Paris, Vienne et Dresde, Londres aussi, accueillent ses meilleurs peintres (Marco Ricci, Amigoni, Pellegrini, Rosalba Carriera). On connaît la carrière anglaise que le consul Smith procura à Canaletto. Mais le prestige du peintre n'est pas dû seulement à l'habile entremise du diplomate. Son génie est d'avoir créé de Venise l'image miroitante qui fait alors rêver l'Europe. Il semble que l'électeur de Saxe, le roi de Pologne Auguste III, ait voulu, lui aussi, l'attirer à sa cour : c'est finalement son neveu et élève de prédilection, Bernardo Bellotto, qui partira pour Dresde ; il y fera une carrière heureuse qui se poursuivra, et s'achèvera, à Varsovie.
Le père de Bernardo Bellotto, Lorenzo, qui avait épousé la sœur de Canaletto, était peintre lui aussi. Mais c'est l'oncle, déjà célèbre, qui se charge d'éduquer le jeune garçon dont le talent s'était manifesté très tôt. Sa manière est d'abord très proche de celle de Canaletto, à en juger par les œuvres, peu nombreuses, qui subsistent de cette époque et par celles, encore attribuées à Canaletto, dont on peut penser qu'elles reviennent au neveu ; toutefois, la gamme restreinte des couleurs posées en touches parallèles, les contrastes d'ombre et de lumière nettement soulignés, la tonalité assombrie, parfois bleuâtre, offrent déjà un caractère personnel. Les affinités avec Canaletto durant ces années de formation n'en restent pas moins évidentes dans les dessins. Mais une comparaison détaillée entre des études à première vue similaires fait apparaître des divergences certaines dans la conception de l'espace — plus large, plus ouvert chez Bellotto — dans le traitement et l'attitude des petites figures animant la scène et dans un léger décalage de l'angle de vue.
Les traits qui distinguent les œuvres de Bellotto vont s'affirmer lorsqu'en 1744 il quittera Venise pour la Lombardie et le Piémont. Sa préoccupation d'exactitude minutieuse se développe alors dans le sens d'un « vérisme » étranger à Canaletto. Dans les vues de Gazzada, près de Varèse, datées de 1744, dans celles de Turin qu'il peint l'année suivante, les panoramas largement ouverts sur la campagne ou la ville s'éclairent d'un « coup de jour » qui accentue la précision des formes et la réalité des figures. Les macchiete de Canaletto prennent une signification nouvelle. Alors que son plus illustre élève, Guardi, retiendra leur caractère de vibration colorée et fugace, Bellotto en accroît la densité : leur présence n'est plus fortuite, elles concourent à la véracité de la scène. Il est intéressant de comparer à cet égard la Vue de Turin depuis les jardins du palais Royal, de Bellotto, à la Vue de Londres vers Whitehall que Canaletto peindra un an plus tard, en 1745.
Cette aptitude à animer « naturellement » un espace dilaté s'épanouir à Dresde, dans les vues urbaines qu'il peint à partir de 1747 pour Auguste III et pour son Premier ministre, le comte de Brühl. Les vastes perspectives et les édifices grandioses, la colonie italienne d'architectes, de peintres et de musiciens, la vie de cour fastueuse créent un climat qui convient à cet artiste intelligent, bon courtisan et quelque peu vaniteux (il aime rappeler sa parenté avec son illustre maître en ajoutant à son nom celui de Canaletto). Les paysages hollandais des collections royales développent, semble-t-il, sa tendance aux interprétations naturalistes des personnage et des animaux, comme en témoignent en particulier les vues de Pirna (1752-1755) mais aussi celles où il décrit tous les aspects de Dresde dans une impressionnante lumière froide et immobile. Ces contrastes entre les architectures rigoureuses et le foisonnement des figures, l'effort pour faire coïncider l'image de la « ville idéale » et celle de la ville habitée, quotidienne, les jeux d'ombres et de lumières qui parfois tournent au clair-obscur donnent à ses peintures une mélancolie obsédante, presque romantique. Les superbes eaux-fortes que Bellotto tire de ses tableaux transposent cette poésie par l'opposition des noirs et des blancs, par la subtilité des reflets dans l'eau.
En 1756, l'invasion de la Saxe par Frédéric II oblige Auguste III à partir pour Varsovie. Bellotto le suit ; mais la vie difficile que connaît alors la cour de Pologne l'incite, en 1759, à gagner l'Autriche, où il peint des vues de Vienne, de Schönbrunn, de Schlosshof. Deux ans plus tard, il part pour Munich, puis, en 1763, revient à Dresde. Auguste III meurt cette année-là et Bellotto perd ainsi son meilleur protecteur. En 1768, il envisage de se rendre à Saint-Pétersbourg, mais Stanislas-Auguste Poniatowski, le nouveau roi, réussit à le garder à Varsovie. Le peintre retrouve là le milieu éclairé, le faste — les commandes aussi — qui conviennent à ses goûts et à son talent. Outre quelques compositions historiques, il peint surtout des vues de Varsovie où la perspective vénitienne demeure la base d'une interprétation de plus en plus personnelle. Mais l'attachement de Bellotto aux détails pris sur le vif — dont témoignent de très nombreux dessins — donne parfois à ses œuvres tardives un caractère anecdotique, moins poétique.
Après Canaletto et avec une autre sensibilité, une autre intuition de l'atmosphère, Bellotto ajoute à l'histoire des vedutisti une page attachante et originale, mais qui demeure profondément vénitienne.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE : critique d'art
Classification
Médias
Voir aussi