SCHLINK BERNHARD (1944- )
Comment juger du passé ?
Le Liseur a valu à Schlink autant de louanges que de critiques, l’auteur ayant même été parfois accusé d’empathie avec les criminels. Ces réactions s’expliquent par le fait que ce roman est l’un des premiers à ne pas condamner d’emblée et par principe tous ceux qui ne se sont pas opposés frontalement à la barbarie nazie, problématique que Pierre Bayard reprend dans son livre, Aurais-je été résistant ou bourreau ? (2013). Mais Schlink se voit doublement exposé à la critique, comme précurseur de cette problématique et comme Allemand. Le poids du passé, qui semblait avoir disparu avec la réunification, laquelle donnait à l’Allemagne pour la première fois depuis le début de son histoire des frontières et une souveraineté reconnues par tous, resurgit de façon autre, non plus par une volonté de condamnation mais par un effort de différenciation. Essayer de comprendre n’est pas pardonner. D’autant plus que le livre, comme d’ailleurs les précédents et notamment sa trilogie policière, s’attache à démasquer les mensonges et les refoulements, volontaires ou non, qui permettent de créer une seconde réalité et d’occulter ainsi l’ampleur d’une faute qui conduirait autrement au suicide, tant elle est insupportable. Loin de minimiser ce que peut représenter le passé de l’Allemagne, Schlink dit l’accepter comme « une charge » qui s’amenuise certes au fil des générations, mais qui perdure tant que perdure la souffrance des victimes ; il se sert de la fiction pour essayer de nuancer ce que le droit aborde souvent de façon sèche et unilatérale.
Le succès planétaire de Schlink est loin d’avoir tari son inspiration, même si l’écrivain semble prendre du champ par rapport aux problèmes de l’éthique historique et politique.En 2000 paraît le recueil de nouvelles Liebesfluchten (Amours en fuite), en 2006 Die Heimkehr(Le Retour) et en 2014 Die Frau auf der Treppe(La Femme sur l’escalier). En 2018, le roman Olga relate une histoire d’amour impossible entre une femme de modeste condition et un grand propriétaire terrien qui adhère aux idées d’une Prusse hégémonique à la Bismarck et participe aux guerres coloniales. Schlink revient ici sur le passé de l’Allemagne mais en remontant cette fois jusqu’au Deuxième Reich. Comme si l’histoire de ce pays ne cessait d’être prise, depuis le xixe siècle jusqu’aux agissements de la Fraction Armée rouge évoqués dans DasWochenende (Le Week-end, 2008), dans une trame aussi complexe que contradictoire.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre DESHUSSES : traducteur
Classification
Média
Autres références
-
LA PETITE-FILLE (B. Schlink) - Fiche de lecture
- Écrit par Pierre DESHUSSES
- 1 095 mots
- 1 média
Plus de vingt-cinq ans après Le Liseur, Bernhard Schlink nous offre, avec La Petite-Fille (Gallimard, 2023), un autre grand roman, toujours traduit par Bernard Lortholary, sur les déchirures et les failles qui ne cessent de traverser l’Allemagne d’après-guerre. Comme souvent chez cet auteur né en...
-
ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures
- Écrit par Nicole BARY , Claude DAVID , Claude LECOUTEUX , Étienne MAZINGUE et Claude PORCELL
- 24 585 mots
- 33 médias
..., 2022). Signalons aussi les romans de deux écrivains confirmés depuis une quarantaine d’années : Die Enkelin(2021 ; La Petite Fille, 2023), de Bernhard Schlink, et Guldenberg(2021), de Christoph Hein. Alors que Schlink, non sans un certain déterminisme, mise sur la culture, classique de préférence,... -
SHOAH LITTÉRATURE DE LA
- Écrit par Rachel ERTEL
- 12 469 mots
- 15 médias
Né après la guerre, Bernhard Schlink dans Le Liseur (1996), présente l'allégorie d'une Allemagne autosatisfaite, lisse, où toute trace du crime est effacée. Ce roman à la première personne, est construit en deux parties : le récit de l'initiation amoureuse du narrateur par une femme qui se révèle être...