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BONELLO BERTRAND (1968- )

Le cinéaste français Bertrand Bonello est né à Nice en septembre 1968. Il est musicien de formation. Son cinquième long-métrage, L'Apollonide, souvenirs de la maison close, décrit quelques mois du fonctionnement d'une maison close, de la vie de ses prostituées et de ses clients au tournant du xxe siècle. Enfermées entre ses murs durant la journée, les femmes se préparent, s'ennuient, attendent. À la nuit tombée, les hommes arrivent, boivent, conversent, choisissent et satisfont leurs désirs. Ce sujet « sulfureux » a donné naissance à un film cérébral et étranger à tout voyeurisme, qui confronte les spectateurs aux mécanismes de l'exploitation des pensionnaires. Les personnages sont nombreux et ne sont jamais destinés à susciter l'identification ou l'apitoiement. Ils apparaissent et disparaissent au cours du film, formant une mosaïque subtile. La qualité et la précision du choix des acteurs (parmi les femmes, Hafsia Herzi, Céline Sallette, Adèle Haenel, Alice Barnole, sans oublier la patronne, Noémie Lvovsky ; pour les clients, Jacques Nolot, Louis-Do de Lencquesaing, Pierre Léon) et de la direction d'acteur est essentielle dans cette réussite.

Bertrand Bonello s'attache à respecter des choix de mise en scène très stricts qui donnent son originalité et sa puissance au film. Il ne sera pas question de quitter la maison elle-même : les femmes y sont recluses ; les hommes n'y sont que clients. La seule échappée au bord de l'eau du groupe des pensionnaires est un hommage à un thème pictural et aussi le détail réaliste d'une promenade hygiénique organisée par la patronne. Surtout, le regard du cinéaste ne s'identifiera jamais, grâce au choix des cadrages et des angles de vision, à celui des hommes sur les femmes qu'ils exploitent et consomment. Ainsi la nudité bien présente des corps féminins s'accompagne d'une « dés-érotisation ». Ces corps sont beaux et tristes mais jamais désirables. L'utilisation dans le décor de glaces sans tain ou dans l'image de split-screen (image divisée en quatre petits écrans) contribue à cette médiatisation du regard. Soigneusement documenté grâce aux recherches du cinéaste pour son scénario, L'Apollonide décrit précisément la vie quotidienne dans la maison, le mécanisme des dettes qui interdit aux femmes de la quitter, et utilise même deux lettres authentiques dans sa narration, sans que le film délaisse pour autant son projet esthétique sous le poids d'éléments naturalistes.

Bertrand Bonello réussit ici à donner une forme sereine et maîtrisée à plusieurs des thèmes présents dans ses films précédents et aux principes d'organisation qui guident son cinéma. Son premier film, Quelque Chose d'organique (1998), offrait le portrait fragmenté de la crise du couple formé par Laurent Lucas et Romane Bohringer. En 2001, Le Pornographe mettait en scène Jean-Pierre Léaud dans le rôle d'un réalisateur de films pornographiques des années 1970, contraint par la nécessité économique à travailler dans le nouvel univers audiovisuel de la pornographie des années 2000. L'industrie du sexe, incarnée ici par l'emblématique Ovidie, y était montrée très crûment, dans quelques scènes non simulées, comme une activité purement répétitive. Face au cinéaste en quête de liberté malgré la faillite de ses croyances libertaires, son fils (Jérémie Renier), qui venait de renouer avec lui, passait d'une communauté de jeunes gens animés par une révolte poétique au simple amour pour une jeune fille. Le film suivant, Tiresia (2003), est à la fois plus sombre et plus violent. Relecture contemporaine du mythe antique, il avait pour personnage principal un travesti brésilien du bois de Boulogne (interprété d'abord par une actrice) qui, séquestré par un moraliste, redevient homme (et est incarné dès[...]

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Écrit par

  • : enseignant en cinéma à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle et à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot

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