BRENTANO BETTINA (1785-1859)
« Mon âme est une danseuse passionnée ; elle va dansant sur une musique intérieure qu'elle est seule à percevoir », disait d'elle-même cette attirante et inquiétante Bettina, qui pour ses raisonnables détracteurs n'est qu'une extravagante mythomane et, pour ceux qui restent sensibles à ses dons d'enchanteresse, demeure une des plus poétiques intelligences du romantisme allemand.
Petite-fille de Sophie de La Roche, parente de Wieland et femme de lettres célèbre vers 1770 ; fille de Maximiliane de La Roche, qui avait été aimée par Goethe avant d'épouser en 1774 Pietro Antonio Brentano, important négociant italien venu s'établir à Francfort ; sœur cadette de Clemens Brentano, Bettina a pour ainsi dire la littérature dans le sang. De son éducation rhénane, elle a reçu une ample et profonde culture et un goût très vif de la liberté, qu'elle n'abdiquera jamais. Parmi les artistes et les écrivains qu'elle fréquente dans l'entourage de son frère Clemens, elle sait discerner le plus génial de tous, Achim von Arnim ; elle s'en éprend, l'épouse après mûre réflexion en 1811 et sera toujours pour lui une excellente compagne, ainsi qu'une excellente mère pour les enfants qui naîtront de leur union.
Mais un poète compte bien plus encore qu'Arnim à ses yeux : ce Goethe dont le souvenir est demeuré présent au cœur de sa mère ; elle fait sa connaissance en 1807 et lui voue une amitié passionnée (qui sera brisée par le poète en 1811 sous le prétexte d'une assez sotte querelle cherchée par la jalousie de la femme de Goethe). De 1807 à 1811, ils se revoient et échangent de nombreuses lettres : Bettina les publiera en 1835 sous le titre de Correspondance de Goethe avec une enfant (Goethes' Briefwechsel mit einem Kinde) non sans se permettre de nombreuses enjolivures et extrapolations. Les textes originaux, retrouvés bien plus tard, suffisent néanmoins à attester que Goethe n'est pas resté insensible au charme de cette jeune fée du Rhin, qui lui rapportait plus d'un souvenir de sa propre jeunesse (Bettina avait précieusement recueilli à Francfort les souvenirs de la mère de Goethe, qui se retrouveront bientôt dans Poésie et vérité) et qui lui servait intelligemment d'agent de liaison avec les jeunes romantiques.
C'est peut-être ce dernier point qui amènera en profondeur la rupture de 1811. Goethe, sexagénaire, tend toujours plus au classicisme ; il prend en grippe les novateurs, et singulièrement Arnim ; il est scandalisé par le génie « indompté » de Beethoven ; il supporte mal que son adoratrice fasse cause commune avec eux et prétende les imposer à sa propre admiration.
En mai 1810, Bettina a fait la connaissance de Beethoven à Vienne, et le musicien l'a tout de suite admise dans son intimité. Elle a noté ses propos, elle en a reçu des lettres sérieuses et tendres ; si elle avait tout inventé des mots qu'elle en rapporte, il faudrait alors simplement admettre qu'elle l'a compris mieux que personne en l'inventant de toutes pièces ; mais la découverte récente d'une lettre autographe de Beethoven oblige à supposer que Bettina a conservé assez fidèlement pour l'essentiel la teneur des textes beethoveniens qu'elle publiera plus tard.
Adoratrice qui ne veut pas s'avouer déçue, Bettina persiste naïvement à espérer qu'elle aidera les enthousiasmes du Sturm und Drang à ressusciter dans la vieille âme de l'Olympien de Weimar — et c'est dans ce sens qu'elle apportera les plus significatives retouches à leur correspondance en la publiant. Mais surtout, elle entend rester libre de son itinéraire poétique et intellectuel. Avec les mêmes dons de sourcière qui lui avaient fait proclamer sans aucune mesure le génie de Beethoven, elle chante, l'une des premières, l'exceptionnel génie de[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean MASSIN : écrivain
Classification
Autres références
-
ARNIM ACHIM VON (1781-1831)
- Écrit par Jacques PEYRAUBE
- 1 965 mots
...fragment de l'arc-en-ciel aux couleurs ardentes. » Cette incertitude se manifeste tout au long de son existence, dans la recherche d'une position sociale, dans ses longues fiançailles avec Bettina, la sœur de son ami Brentano, dans le zèle intermittent qu'il apporte à cultiver les propriétés auxquelles il...