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BHAKTI

L'épanouissement de la bhakti

Au sud de l'Inde, la bhakti s'exprimera d'une manière caractéristique, entre le vie et le ixe siècle, dans les hymnes des āḷvār, poètes de langue tamoule, qui célèbrent tout particulièrement l'avatāra Kṛṣṇa. Cependant, vers la même époque – et déjà antérieurement – d'autres poètes tamouls, dévots de Śiva, ont célébré leur dieu dans des hymnes eux aussi brûlants d'un ardent amour.

Dans l'un des Purāṇa les plus récents, le Bhāgavata – qui ne remonte sans doute pas plus haut que le xe siècle – on retrouve la dévotion exclusive à Kṛṣṇa, mais cette fois exprimée en sanskrit. La bhakti se manifeste dans un contexte non plus simplement poétique, mais métaphysique dans les écrits du grand réformateur vedāntin, Rāmānuja (xie siècle), qui a composé entre autres un commentaire de la Bhagavad Gītā.

Chez lui se maintient l'équilibre entre l'amour du fidèle et la bienveillance divine qui caractérisait la forme ancienne de cette dévotion ; après lui s'esquissera un mouvement dans le sens d'une reddition encore plus complète de l'homme à la divinité. Dans certaines sectes, on préférera au terme de bhakti celui de prapatti, abandon, ou de preman, amour à coloration passionnée ; mais même dans ces cas extrêmes, c'est l'expression générique de bhakti qui recouvre tout le mouvement religieux affectif en Inde.

Les assauts répétés de l'islam contre l'hindouisme en avaient dans le Nord freiné, et par endroits aboli, les manifestations. Cependant, la tradition avait gardé toute sa vigueur dans le Sud, que son éloignement tenait à l'abri des influences massives de l'islam. Les cultes de dévotion y prospéraient et c'est de là que, vers le xive siècle, partira en direction du Nord la reconquête religieuse qui cheminera le long des côtes, tant orientales qu'occidentales.

Un Mahātmya (exaltation), joint vers le xvie siècle au Bhāgavata Purāṇa, nous retrace un processus qui a chance d'évoquer, non la première apparition de la bhakti sur le sol indien, mais sa reviviscence depuis les sectes vichnouites du Sud : « Née dans le pays dravidien, j'ai atteint l'âge adulte dans le Karṇātaka ; vivant çà et là dans le Mahārāṣṭra et le Gujrāt, je suis parvenue à la vieillesse, mutilée par les hérétiques (l'Islam), sans force ainsi que mes deux fils Savoir et Détachement, j'ai été presque anéantie. Revenue dans le Vṛṇḍāvana (région de Mathurā, d'où est originaire la légende de Kṛṣṇa), neuve et comme régénérée, bien constituée, me voilà maintenant ressuscitée » (Bhāgavata Purāṇa Mahātmya, I, 47-49).

Nimbārka, d'origine telugu (xiie-xiiie s.), philosophe autant que mystique, s'inscrit dans la lignée de Rāmānuja, mais accentue l'aspect de complet abandon à Dieu. Rāmāṇanda, d'un bon siècle son cadet, appartient à la même tradition, tout en adressant plus particulièrement ses adorations à l'avatāra Rāma.

Alors que, même dans la plus révérencieuse dévotion, l'immanence et la transcendance divines sont inséparables dans l'ensemble de la pensée indienne, Madhva (xiiie-xive s.) se présente comme une exception en proclamant le dieu auquel il se voue absolument distinct des âmes et du monde matériel.

Au cours de la remontée de la bhakti vers les rives de la Yamunā, on peut noter quelques noms de mystiques éminents : par exemple, à l'est, celui de Vallabha (fin du xve s.) qui, quoique telugu, vécut à Bénarès. Son contemporain, Caitanya, qui y était né, alla s'établir et mourir en Orisā ; il transposa la bhakti dans le registre de preman, l'amour passionné, et instaura en l'honneur de Kṛṣṇa des processions accompagnées de chants (saṃkīrtana).

Sur la[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études honoraire à l'École pratique des hautes études (Ve section)

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