BIBLIOTHÈQUES NUMÉRIQUES
Bibliothèques numériques et édition
Devant de telles perspectives, que deviennent les équilibres traditionnels entre bibliothèques et éditeurs, déjà fort malmenés depuis une dizaine d'années de numérisation ? De fait, en réunissant des collections, en offrant une nouvelle visibilité thématique (comme pour les approches thématiques que proposent « Voyages en France » ou « Utopies » sur Gallica), les bibliothèques ne sauraient ignorer le rôle éditorial nouveau qu'elles remplissent, du moins pour des ouvrages du domaine public. On peut donc légitimement s'interroger sur les limites imposées concernant l'accès à distance de documents sujets aux droits d'auteur, ou au contraire sur les opportunités de coédition qu'elles pourraient être amenées à explorer avec des éditeurs, des transporteurs de signaux ou des entreprises gestionnaires de contenus multimédias.
Curieusement, l'apparition de supports nomades (e-book) et de formats de lisibilité et de structuration de documents (open e-book par exemple) sont des tentatives pour reconstituer un modèle économique solvable du livre (le « livre électronique ») par déchargement et accès payants à des éditions en ligne. Ces supports nomades parient à l'évidence sur une baisse de leurs coûts à venir et sur la croissance exponentielle de mémoire des composants électroniques (on parle du stockage possible de l'ensemble de la Bibliothèque du Congrès en 2020 sur un support de mémoire de masse de quelques centimètres) ou de débits des réseaux. On le voit, la diversification, la plasticité des usages contraignent les bibliothèques à de nouvelles responsabilités touchant la conservation du patrimoine, qui ne relèvent pas seulement des performances techniques. Une grande partie du droit et de la jurisprudence tend à considérer que le numérique ne change fondamentalement rien au droit d'auteur et à son parent, le copyright, ni à la nécessité de contractualiser les autorisations en traduisant celles-ci dans des rémunérations qui ont valeur pour lever les restrictions. Il nous semble, en ce qui concerne les bibliothèques, que cette approche juridico-économique à laquelle se réduirait la pratique éditoriale est un peu courte. Tout comme on peut s'interroger sur la pertinence, dans ce cadre nouveau, du partage social des rôles qu'historiquement l'État et les bibliothèques, d'un côté, le marché et l'édition, de l'autre, se sont traditionnellement attribués. Aux premiers, le soin d'organiser le dépôt légal, de conserver, de donner accès et de favoriser la lecture publique, la recherche et l'instruction, de mettre en œuvre les outils bibliographiques nécessaires, de valoriser le patrimoine culturel, etc. Aux seconds, la capacité d'organiser la production des créateurs, d'en mettre en œuvre la fabrication, l'impression, la diffusion, la commercialisation et la valorisation, etc.
Il est légitime en effet de s'interroger sur la permanence de ce modèle, dès lors que des utilisateurs vont davantage puiser dans les ressources hétérogènes du Web que dans les documents propres, y compris au sein de bibliothèques transformées en cybercentres, ou encore donnant accès par des abonnements payés aux consortiums de revues en ligne, notamment les revues scientifiques et médicales. Parallèlement, des créateurs, journalistes, scientifiques vont tendre à utiliser directement le Web pour présenter des prépublications, auto-éditer des pages personnelles, constituer des forums ou nourrir des bases de données.
La frontière entre domaine public et droit privé (aussi légitimes soient les volontés conservatoires des intérêts fragiles des éditeurs) nous semble devenir caduque, dès lors que lui fait défaut le modèle économique capable de faire bénéficier le plus large public des mannes numériques. Par exemple, la[...]
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Écrit par
- Yannick MAIGNIEN : enseignant de philosophie, École normale supérieure, lettres et sciences humaines, Lyon
Classification
Média
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