BICAMÉRISME ou BICAMÉRALISME

Représenter la société

Si « la vie locale » des entités infra-étatique peut s'exprimer par le canal de la seconde Chambre, la vie économique et sociale doit également pouvoir le faire. Bref la « société civile » devrait pouvoir être représentée au sein du Parlement.

Cette idée a d'abord été développée dans le cadre du corporatisme, exalté dans les années 1930 par les régimes fascistes, ce qui a contribué à la discréditer. Toutefois la volonté de représenter les intérêts socioprofessionnels sera reprise par de nombreux courants politiques au lendemain de la guerre et par des personnalités aussi différentes que le général de Gaulle et Pierre Mendès France. Ce dernier affirmait qu'« à côté de l'Assemblée qui exprime les diversités idéologiques et politiques, la présence des groupes socioprofessionnels est devenue nécessaire au sein d'une seconde Assemblée dotée de pouvoirs effectifs ». Quant au général de Gaulle, il évoquera aussi dans son discours de Bayeux « la voix des grandes activités du pays » qui doit se faire entendre « au sein même de l'État ». Cette idée débouchera sur une « version légère » de la chambre économique, celle du Conseil économique de la IV^e rebaptisé Conseil économique et social sous la V^e, tous deux confinés dans un rôle purement consultatif pour ne pas dire formel et qui ne font pas partie du Parlement.

C'est un modèle plus lourd que le chef de l'État a voulu instaurer en 1969 par référendum. Le nouveau Sénat qu'envisageait le général de Gaulle devait remplir une double fonction : représenter les collectivités territoriales et « les activités économiques, sociales et culturelles ». Il ressemblait à s'y méprendre au Sénat qu'il préconisait en 1946. Cependant, cette fois-ci il s'agissait de neutraliser la seconde Chambre, qui s'était constamment opposée à lui depuis 1962. Un bicamérisme politique inégalitaire aurait été renforcé, sous couvert de bicamérisme sociétal.

Aujourd'hui, un certain nombre de pays pratiquent un véritable « bicamérisme économique et social ». Le cas le plus exemplaire à cet égard est certainement celui de l'Irlande où le Sénat (Seanad Eireann) compte 49 membres élus en fonction de leur appartenance professionnelle.

La représentation des professions, des catégories sociales et autres « forces vives de la nation » est retenue également dans d'autres pays. Ainsi, les deux cinquièmes des membres de la Chambre des conseillers du Maroc (Majlis Al-Mustacharin) sont issus des chambres professionnelles et des organisations représentatives des salariés, les autres conseillers étant élus par les collectivités locales. En Égypte, le Majlis Al-Choura est composé de 176 membres élus au suffrage universel direct, à la condition que la moitié d'entre eux au moins soit composée d'ouvriers et de paysans.

Si le plus souvent c'est le monde économique qui est représenté, il arrive que ce soit plutôt des élites sociales, culturelles, voire traditionnelles. C'est notamment le cas en Afrique où celles-ci ont souvent été exclues du pouvoir au moment de l'indépendance ce qui a engendré des conséquences parfois catastrophiques. Pour y remédier, nombre d'États africains considèrent comme utile la création de Sénats associant ces élites traditionnelles. Ainsi, le Conseil des chefs du Botswana joue-il le rôle de représentant des chefs traditionnels de même que le Sénat du Lesotho qui est composé pour un tiers par des chefs traditionnels.

Pour les pays qui ont connu des guerres civiles, ethniques ou religieuses, l'instauration d'une seconde Chambre peut être un instrument permettant de dépasser les conséquences de ces conflits. Ainsi, le Liban, déchiré par des années de guerre civile,[...]