BIEN, philosophie
La notion de bien constitue la notion centrale de la philosophiemorale depuis l'Antiquité jusqu'à la fin du xviiie siècle. En effet, le concept de bien a été traditionnellement attaché aux concepts de bonheur, de bon état de chose à maximiser, de bonnes conséquences à promouvoir ou de vie bonne. Toutes ces affiliations témoignent d'un élément commun. À chaque fois, le bien est l'objet d'un mouvement, d'une orientation, d'une visée. Les ressources psychologiques qui permettent une telle orientation vers le bien sont essentielles en l'homme. Elles correspondent à la catégorie entière des états mentaux qu'on désigne sous le nom de désirs, volitions, émotions.
Une philosophie morale qui s'organise autour de la notion de bien est ainsi enracinée dans la psychologie et dans l'action. La question de la moralité ne se poserait pas sans un être humain qui connaît, désire, est affecté. Dans la mesure où la réflexion morale, entendue comme philosophie pratique, porte essentiellement sur l'action humaine, la notion de bien devrait être considérée comme le concept clé de la philosophie morale. Elle maintient le lien entre la motivation et la moralité et rend possible de concevoir celle-ci comme une forme du désirable. Elle intègre de nombreux domaines de la vie humaine dans la compétence de la moralité et légitime la question : comment dois-je vivre ? D'où son importance en philosophie morale, même si aujourd'hui de nombreux courants philosophiques plaident pour substituer au bien comme première notion de la philosophie morale les notions de devoir (dans la tradition kantienne) ou de juste (dans les traditions contractualistes).
Comment définit-on le bien ? Quelle faculté humaine permet d'avoir accès au bien ? Quel effet a-t-il sur les valeurs, les actions ou la conduite de la vie ? Une étude des différentes définitions philosophiques du bien permettra de répondre à ces questions relatives à l'ontologie, à l'épistémologie et à la psychologie.
Le bien comme bonheur, ou « eudaimonia »
Les philosophes de l'Antiquité ont lié la recherche du bonheur à la moralité. D'où le nom d'eudémonisme (du terme grec eudaimonia, bonheur, prospérité ou félicité) donné à leur philosophie. La thèse centrale de l'eudémonisme a trait à la coïncidence de la poursuite du bonheur et de l'accès à la vertu. Les philosophes antiques l'ont défendue contre les objections communes qui leur étaient opposées. Polos et Calliclès, les interlocuteurs de Socrate dans le Gorgias de Platon, rappellent que souvent les tyrans et les hommes méchants sont les plus heureux des hommes. En revanche, le cas d'un homme juste qui, refusant de commettre la moindre action coupable, verrait sa réputation détruite, ses biens confisqués, sa famille exterminée montre clairement qu'il est très improbable que la vie vertueuse soit une vie heureuse. On aperçoit déjà combien la thèse eudémoniste est une thèse philosophique, qui va souvent à l'encontre de l'intuition et qui n'attend de l'expérience commune ni vérification ni réfutation.
Platon le rappelle dans l'Euthydème et le Philèbe, les hommes poursuivent une fin dernière, le bonheur, dont la possession permet l'accomplissement objectivement parfait de la nature humaine. C'est ainsi que toutes les éthiques antiques ont défini la recherche du souverain bien – à la fois bien humain, bonheur, et bien moral. Plusieurs traits caractérisent cette recherche. D'abord, ce souverain bien doit porter sur l'ensemble de la vie humaine. Il ne consiste pas en événements, en épisodes ou en sensations, mais doit pouvoir être pensé comme un aspect de l'activité qu'est la vie même. Le deuxième trait est que la recherche du bien est rapportée à une disposition naturelle en l'homme. C'est la tendance naturelle qui[...]
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Écrit par
- Monique CANTO-SPERBER : directeur de recherche au C.N.R.S.
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