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BIEN, philosophie

Le bien comme perfection

La perfection est une définition objective du bien humain qui recommande les actions permettant de réaliser ce bien. Ce qui distingue la théorie du bien comme perfection de l'utilitarisme est précisément que le bien n'est pas défini de façon subjective (comme le plaisir, les préférences ou le bonheur compris au sens moderne du terme), mais représente une réalité objective (l'épanouissement de soi, le bonheur fondé sur des états et des activités, ou encore une valeur supérieure). De plus, ce bien objectif peut être décrit de façon détaillée, selon un grand nombre de perfections et excellences (comme le savoir, l'amitié, la réussite, la richesse des relations intersubjectives) qui peuvent être pratiques ou théoriques ; les perfections sont des biens indépendamment du plaisir qu'elles procurent et elles rendent la vie humaine objectivement plus heureuse. Chez Marx, le bien humain par excellence, sans lequel on ne saurait parler de vie humainement accomplie, est le travail productif et la coopération sociale. Pour Nietzsche, il est créativité et exercice de la volonté de puissance et donne lieu à une forme de bonheur aristocratique (Par-delà bien et mal, 1886).

Les défenseurs de la conception du bien comme perfection ont souvent mis en rapport ce bien avec la réalisation d'une nature humaine. Le cas de l'eudémonisme antique nous montre à quel point l'idée d'accomplissement parfaitement humain est liée au postulat d'une nature propre à l'homme. Mais il ne faudrait pas considérer que toutes les conceptions du bonheur objectif soient prisonnières d'une conception de la nature humaine, d'ailleurs fort difficile à penser.

Les philosophes du xviie siècle, à la suite de Descartes, ont tenté de définir le bien humain et le bonheur en rapport avec la perfection ontologique de l'individu. Une des formulations les plus explicites de cette conception du bien-perfection dans la morale classique se trouve dans une Lettre de Descartes à Elisabeth du 1er septembre 1645 : « Car toutes les actions de notre âme qui nous acquièrent quelque perfection sont vertueuses, et tout notre contentement ne consiste qu'au témoignage intérieur que nous avons d'avoir quelque perfection. » Mais c'est dans l'œuvre de Spinoza et dans celle de Leibniz que l'on trouve les élaborations philosophiques les plus complètes de cette thématique.

Dans le Traité de la réforme de l'entendement (1677), Spinoza dit rechercher « cet objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l'âme, renonçant à tout autre, fût affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine ». Dans la mesure où tout homme veut persévérer dans son être et l'actualiser le plus possible, ce bien représente le plus grand développement ou la pleine actualisation de notre puissance d'être. Or développer sa puissance d'être, c'est développer sa perfection, cette « nature supérieure » dont la jouissance est félicité, car la joie est « passage d'une moindre à une plus grande perfection ». Spinoza définit l'état d'esprit le plus haut auquel les êtres humains puissent parvenir comme acquiescentia, c'est-à-dire cet état d'esprit qui leur fait accepter Dieu comme absolument bon. Sont exclues de la félicité toutes les passions tristes, comme la honte ou la pitié. La jouissance de la perfection la plus grande est la béatitude ou « connaissance de l'union qu'a l'âme pensante avec la nature entière ». C'est la connaissance de Dieu que Spinoza dans le livre V de l'Éthique (1677) désignera comme « l'amour intellectuel de Dieu ».

On trouve liées chez Leibniz la défense de la conception du bonheur comme plaisir[...]

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