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BIEN, philosophie

Le bien formel

Enfin, on peut défendre l'hypothèse qu'il existe un bien formel, ou ordre des biens. Les raisons d'agir tirent leur force normative des valeurs et des biens auxquels elles se rapportent. On peut donc faire l'hypothèse qu'il existe un principe, une sorte de bien formel, en fonction duquel il serait justifié de parler d'ordre des biens, de disposition dans le temps, de cohérence, de pluralité et de hiérarchie des biens. C'est par rapport à un principe d'ordre de ce type que peut être circonscrite la place des obligations et devoirs stricts à l'égard d'autrui dans l'ensemble des biens.

Un deuxième réquisit, qui justifie le postulat d'un bien formel, tient à la nécessité de penser un bien non substantiel, qui donc ne tomberait pas sous le coup des critiques adressées à la vie bonne. C'est aussi pour récuser l'essentialisme du bien sur lequel se fonde l'idéologie de la vie bonne que l'on peut soutenir le postulat d'un bien formel. Il serait absurde de concevoir le bien formel comme une sorte de modèle ou de règle. Contrairement aux idées reçues, les penseurs de l'Antiquité, et tout particulièrement Platon, peuvent nous aider dans la tâche de définition d'un tel bien. On connaît le rôle fondamental que Platon accorde au Bien. Or le bien platonicien n'est évidemment pas une substance. Platon insiste fortement sur le fait que le bien est « au-delà de la substance ». La lecture conjointe des textes de la République et du Philèbe donne une idée plus précise de la portée d'une telle définition.

Le bien est conçu par Platon à la fois comme un principe impersonnel, prescriptif, et comme un principe d'ordre incorporel. Lorsque Platon expose comment, au moment de se réincarner, les âmes doivent choisir une vie, chaque vie, qu'elle soit vie de héros ou vie de paysan, se présente comme une totalité d'événements, d'espoirs, d'attentes, de raisons liées à des biens. Platon souligne qu'il revient à celui qui choisit telle ou telle vie de se l'approprier. Mais lorsqu'elle se présente au choix, chacune de ces vies incarne un type d'ordre des biens et des raisons. Chacune, précise Platon, présente un principe formel de bien, un ordre incorporel. Celui qui choisira en dernier choisira tout de même une vie dont la formule de bien sera aussi réelle que la vie choisie par le premier à se présenter. Restera ensuite à faire le travail propre à l'existence qui incombe à la personne : faire sienne une telle vie et la rendre intelligible à ses propres yeux (cf. M. Canto-Sperber, L'Inquiétude morale et la vie humaine, 2001).

Une troisième raison incite à formuler le postulat d'un bien formel. Elle tient à la nécessité de définir les contraintes d'ordre et de cohérence auxquelles est soumis l'ensemble des biens humains. Postuler qu'il existe des contraintes de ce type sur le bien revient à s'opposer à deux thèses apparemment contraires mais qui reposent sur un préjugé commun. La première, présente chez les défenseurs extrémistes des théories contemporaines de la vertu, se réduit à considérer que toute philosophie du bien doit renvoyer à un bien substantiel, identifié comme tel, relevant d'une forme d'essentialisme. La seconde, qu'on trouve depuis Hobbes jusqu'aux défenseurs du choix rationnel en passant par John Rawls, consiste en ceci : la définition du bien ne comporte aucune caractéristique intrinsèque, fût-elle aussi formelle que le principe de l'unité organique ; le bien n'est que l'objet de préférences, il est, comme on dit aujourd'hui, « neutre », c'est-à-dire indéterminé. Le préjugé commun à ces deux points de vue est le refus de considérer le bien comme un ordre formel de normes. Or, pas davantage que le bien n'est une réalité substantielle et définie[...]

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Martha Nussbaum

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