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BIEN, sociologie

Cérémonie du Potlach - crédits : MPI/ Archive Photos/ Getty Images

Cérémonie du Potlach

La science économique a longtemps revendiqué avec succès le monopole légitime de l’analyse des biens. Dans sa version dominante, elle rend compte de la production et de l’appropriation d’un bien privé, qu’il s’agisse d’une tomate ou d’un soin dentaire, en suivant les règles d’une institution, le marché, auquel elle prête la faculté d’allouer les ressources de façon optimale grâce à la concurrence et aux variations des prix. Les sociologues raisonnent différemment. Comme l’a mis en évidence Marcel Mauss dans son Essai sur le don (1923-1924), un bien peut être consommé pour des raisons non économiques. Par exemple, le potlatch – cérémonie festive observée par les anthropologues en Amérique du Nord – organise l’échange et la destruction des biens selon une logique agonistique qui, in fine, a pour vertu de resserrer les liens entre les groupes sociaux.

Un bien ne peut donc se réduire ni à la satisfaction matérielle (valeur d’usage) qu’il procure, ni à son prix de vente (valeur d’échange). Le constat vaut également pour les sociétés modernes. Comme l’a tôt vu Edmond Goblot en observant la bourgeoisie française au début du xxe siècle, un vêtement répond à différentes exigences, dont celle de distinction sociale. Par exemple, en portant des costumes austères, les bourgeois créent une barrière symbolique avec les autres classes et se forgent de la sorte une identité sociale collective. Les travaux de Pierre Bourdieu s’inscrivent dans cette perspective. Dans La Distinction (1979), celui-ci propose une analyse de la consommation des biens les plus divers (aliments, vêtements, biens d’équipement, livres, musique, etc.) dont la logique est étroitement associée à la classe sociale d’appartenance. Ainsi les classes dominantes, mieux dotées que les autres en capitaux économique et culturel, tirent-elles un profit de distinction en se dissociant des classes populaires qui entretiennent un rapport lâche, pour ne pas dire inexistant, avec les biens de haute culture.

Par la suite, d’autres sociologues ont proposé de rompre avec le paradigme économique dominant à l’aide de principes d’analyse encore différents. Aux États-Unis, Viviana Zelizer montre, dans The Social Meaning of Money (1994), que la monnaie n’a pas cette neutralité qu’on lui prête d’ordinaire. En fonction de leurs besoins, les individus inventent leurs propres moyens d’échange, attribuent des significations sociales variables à l’argent qui passe entre leurs mains et accordent ainsi une valeur spécifique à des biens (argent de poche, cadeaux, dons, tickets-repas, etc.) que les économistes tiennent généralement pour équivalents. En France, Lucien Karpik va dans une autre direction. L’économie des singularités, dont il est le principal concepteur, porte intérêt aux biens que les consommateurs acquièrent en se référant non pas à un prix, mais à la qualité de ces biens (services d’un avocat ou d’un psychanalyste, grands vins, œuvres d’art…). Sur des marchés souvent opaques, où les prix sont tus ou n’ont guère de sens, le consommateur a recours à des « dispositifs de jugement ». Il peut s’agir de réseaux personnels (recommandation d’un ami en faveur de tel ou tel avocat), de guides (comme le Michelin), de labels (A.O.C., dans le cas des vins), de distinctions (prix littéraires)… Dans tous les cas, l’identification de la valeur d’un bien et sa consommation s’appuient sur des artefacts sociaux qui n’ont rien à voir avec le marché des économistes.

— Michel LALLEMENT

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Écrit par

  • : professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers

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Média

Cérémonie du Potlach - crédits : MPI/ Archive Photos/ Getty Images

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