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BIENVENUE À GATTACA (A. Niccol)

Chaque société construit en rêve une utopie diffuse, correspondant à la vision du monde idéal reçue parmi ses membres ; et une anti-utopie généralement plus claire, sortie d'un effort critique plus difficile à effectuer, qui offre une vision apocalyptique du même univers. Un tel cheminement est difficile à embrasser d'un seul coup d'œil, car l'utopie et l'anti-utopie sont le fruit de deux passages à la limite symétriques, entre lesquels se situe la plus grande partie de la vie sociale. L'utopie suburbaine des années 1950 ne s'exprime nulle part plus intensément peut-être que dans des films où elle est projetée dans le passé (The BigSky) ou en terre étrangère (The Quiet Man), l'anti-utopie correspondante dans Rebel without a Cause (La Fureur de vivre). L'utopie contestataire et communautaire des années 1960 et 1970 se situe entre Woodstock, Tolkien et L'An 01 de Gébé, l'anti-utopie de la même génération s'incarne dans le Stanley Kubrick d'Orange mécanique et de Shining. Et la génération suivante nourrit un rêve de pureté et d'accomplissement personnel qui se formule de manière éclatante dans Le Grand Bleu, et dans le même temps perfectionne le cauchemar correspondant, qui se développe à partir de Nikita et aboutit à Gattaca. Premier film du réalisateur néo-zélandais Andrew Niccol, Bienvenue à Gattaca a connu bien plus qu'un succès d'estime lors de sa diffusion dans les salles françaises en 1998. L'argument du film combine avec brio les genres de la science-fiction, de l'enquête policière et de l'intrigue amoureuse. Citoyen d'une société du « futur proche », Vincent Freeman (Ethan Hawke) a toujours rêvé de partir explorer l'espace. Conçu en dehors des lois du génie génétique qui président désormais à la sélection de l'élite, il ne peut espérer, en raison de ses « tares » naturelles, entrer au centre de formation astronautique de Gattaca. Pour parvenir à ses fins, il lui faudra prendre, au prix de corruptions, d'une opération chirurgicale et de mille ruses quotidiennes, l'identité de l'un des membres de la nouvelle élite, Jerome Eugene Morrow (Jude Law). Une enquête de police déclenchée à la suite de l'assassinat d'un dirigeant de l'école et l'amour d'une camarade de promotion (Uma Thurman) risquent soudain de compromettre tous ses plans en le démasquant.

Le film d'Andrew Niccol puise l'essentiel de sa force dans le schématisme. Il est réel au sens que ce mot prend chez Lacan, c'est-à-dire qu'il existe en dehors de toute référence à un sens quelconque et par la seule puissance de la caricature. Et il caricature là où ça fait le plus mal, dans l'idéal de tous les parents d'aujourd'hui : assurer à leurs enfants toutes les chances, les protéger – autant qu'il est humainement possible – de toutes les contingences de la vie. À commencer par le hasard génétique, dont il devient chaque jour plus évident que les progrès de la biologie peuvent nous aider à maîtriser. Qui ne voudrait mettre son enfant à l'abri des maladies, ou optimiser ses dons ? Mais attention : ces enfants-là seront protégés aussi par les compagnies d'assurance et les établissements d'éducation ; et qui pourra plus tard empêcher les recruteurs d'exiger un bilan génétique ? Il se dessine un avenir possible où les « non-valides » seront exclus, soupçonnés, parqués, traités finalement comme des « sous-hommes » ; et c'est la société la plus démocratique du monde qui aura enfanté ce cauchemar totalitaire.

« Un budget plus important, remarque Niccol, m'aurait permis de montrer davantage du monde futur que j'avais imaginé. C'est réellement mon seul regret. » Il est permis de ne pas partager ce regret. Andrew Niccol[...]

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