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BIENVENUE CHEZ LES CH'TIS (D. Boon)

Avec plus de 20 millions d'entrées, Bienvenue chez les Ch'tis a pulvérisé en 2008 le record détenu en 1966 par La Grande Vadrouille, qui en totalisait 17 millions. Quelles sont les conditions d'un tel succès, capable de fédérer des spectateurs de tous âges et de toutes catégories sociales, en réutilisant des recettes déjà bien rodées dans le cinéma français ? Rappelons qu'en 1993 Les Visiteurs avaient fait 13,79 millions d'entrées, qu'en 2001 Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain en réalisait 8,52 millions, tandis que Les Choristes, un autre succès populaire, atteignait en 2004 les 8,4 millions d'entrées et que Les Bronzés 3 réunissait en 2006 10,3 millions de spectateurs.

À la suite d'un mensonge, Philippe Abrams (Kad Merad), un cadre de La Poste, est muté à Bergues, dans le Nord - Pas-de-Calais, par sa direction. Obligé de quitter le Sud, il sera finalement bien accueilli par les postiers du Nord, parmi lesquels Antoine Bailleul (Dany Boon), qui privilégient les valeurs d'entraide et de solidarité. À un rythme enjoué, plus proche d'une écriture audiovisuelle que cinématographique, le film prône, à partir de gags récurrents et d'allers-retours entre le Nord et le Sud, la concorde sociale, l'alliance des cadres et des classes populaires. De « transfrontalier », il devient « transgénérationnel », sur un fond général de bonne humeur. Derrière les questions de chômage et de désindustrialisation du Nord jamais évoquées, il met alors en scène la stabilité des métiers classiques de fonctionnaire de La Poste autour d'un fort consensus social éludant toute véritable allusion politique. Sans aucun doute, il permet de réévaluer certaines valeurs populaires, mais au prix de beaucoup d'esquives. On découvre ainsi un univers sans sexe ni violence, animé par des antihéros ou habité par d'humbles personnages, auxquels une majorité de spectateurs serait invitée à s'identifier.

Fondé sur une opposition manichéenne entre le nord et le sud de la France, le film conforte une vision passéiste de la région. À l'image des Gaulois d'Astérix et Obélix contre César (1999), les facteurs heureux du Nord, ces Ch'tis, ressuscitent le paradis perdu d'un petit village capable de résister à l'envahisseur dans un monde désormais globalisé. Une France dont on rêverait, fondée sur une idée du terroir bien éloignée de certaines réalités quotidiennes, comme du poids de l'histoire. Pourtant, depuis la désindustrialisation de 1973, ce Nord-là souffre d'un véritable déficit d'image.

Cette représentation pleine de nostalgie d'une France populaire, qui se voit restituer une identité mise à mal, a souvent été placée en avant au cinéma. Ainsi Jour de fête (1947) de Jacques Tati – avec déjà un postier à vélo – fut un des grands succès comiques de l'après-guerre. Aux antipodes de Germinal (1993) de Claude Berri, qui illustre la misère et la noirceur des corons, Bienvenue chez les Ch'tis veut s'inscrire au croisement jovial du local et du global, aboutissant à un unanimisme « franchouillard » exprimé dans une forme inédite de patois multiculturel. L'accent ch'ti, ici, fait intégralement partie du ressort comique. En même temps, les deux premiers rôles, Dany Boon et Kad Merad, ne peuvent se prévaloir d'un ancrage direct à ce terroir, mais plutôt de la diversité. Le père de Dany Boon est d'origine kabyle, tandis que Kad Merad est né à Sidi Bel Abbes (Algérie). L'antagonisme à la fois géographique et culturel permet de faire fonctionner cette comédie sous forme d'un duo rappelant le cirque. Les performances comiques de ces acteurs dans le music-hall ou dans l'audiovisuel se trouvent ici consacrées par le passage au cinéma. Le film étant une coproduction des studios de TF1, les ingrédients du succès sont également à chercher[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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