BILL BRANDT (exposition)
Du 21 septembre au 18 décembre 2005, la fondation Henri Cartier-Bresson à Paris a présenté un ensemble exceptionnel de tirages d'époque réalisés par le photographe britannique Bill Brandt (1904-1983). L'œuvre de ce dernier comptait déjà parmi les « choix d'Henri Cartier-Bresson » en 2003, lors de l'exposition inaugurale de la fondation, du vivant de Cartier-Bresson (1908-2004). Outre l'amitié et l'estime qui liaient les deux photographes, ils avaient en commun d'avoir cheminé ensemble, à leurs débuts, sous l'influence du surréalisme.
Déjà présentée à Londres, au Victoria and Albert Museum en 2004, l'exposition, plus réduite à Paris, proposait une approche de grande qualité. Le plus frappant était sans doute la beauté des vintages. Bill Brandt tirait lui-même ses photographies, afin d'obtenir les effets souhaités. La « couleur » qu'il donnait à son travail en noir et blanc visait à dramatiser le réel. Les contrastes recherchés, plus violents encore à la fin de sa vie, et la domination constante des noirs étaient pour lui autant affaire de style que de vision. L'exposition de la fondation Henri Cartier-Bresson présentait en deux salles les deux facettes de l'œuvre de l'artiste, documentariste aigu de l'Angleterre des années 1930 et 1940, puis expérimentateur se livrant, après guerre, à un déchaînement d'inventions formelles à travers nus et paysages. Qu'un même photographe puisse être tour à tour un observateur implacable du réel et le créateur d'un imaginaire détonnant, et que dans les deux cas ces registres soient illustrés de la façon la plus intense, voilà qui explique la place d'exception qu'occupe Brandt dans l'histoire de la photographie.
La dualité appartient d'abord à son histoire personnelle. Né à Hambourg en 1904, d'un père anglais et d'une mère allemande, il hérite d'une double nationalité dont il cherchera à se défaire, après le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Il émigre en Autriche, puis à Paris où il devient pour quelques mois l'assistant du photographe « le plus original de tous » : Man Ray. Rappelant « la chance [qu'il avait eue] de débuter [sa] carrière à Paris en 1929 », il se référera plus tard, pour expliquer le changement radical de son inspiration, au « courant poétique, qui [l']avait déjà attiré dans [sa] jeunesse » – celui qui fera naître le Paris de nuit de Brassaï, en 1933.
Dès 1931 pourtant, Brandt s'installe définitivement en Angleterre, à Londres, où il se consacre entièrement à un travail documentaire sophistiqué. Son statut d'étranger explique peut-être son empressement à se frotter à des réalités inconnues, et ce regard distancié qui lui permet de « voir les choses plus intensément que la plupart des gens ». Les contrastes sociaux extrêmes, qu'il considère comme caractéristiques du pays, nourrissent son inspiration et même son imagination. Il entreprend, parallèlement, de dresser le portrait d'une bourgeoisie cossue et celui d'une classe ouvrière miséreuse. Dans le confort des sombres demeures, au milieu des réceptions frivoles, il s'attarde curieusement sur la raideur de gouvernantes en tablier blanc, juges et témoins d'un monde qui les ignore. Que des figures secondaires – les domestiques – deviennent un motif principal laisse penser que ses reportages étaient sans doute moins strictement objectifs qu'on aurait pu le croire. Au nord de l'Angleterre, mû par une profonde empathie pour les déshérités, Brandt entre dans l'intimité des gueules noires. Dénuement, grisaille et ciels luisants de crasse : il s'agit de « mettre en scène une apothéose » – celle du noir –, de son propre aveu une des clés de sa recherche. Le monde ambigu de la nuit sera l'objet de son deuxième livre, [...]
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Écrit par
- Martine RAVACHE : journaliste et iconographe
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