BIOÉTHIQUE ou ÉTHIQUE BIOMÉDICALE
Définir la bioéthique est une entreprise délicate en raison de l’étendue et de la diversité des usages de ce néologisme qui fut introduit successivement et indépendamment en allemand (Bio-Ethik) puis en anglais (bioethics). Avec cette seconde introduction, la bioéthique articulait d’emblée l’éthique médicale à une éthique du vivant en général, laquelle s’est également développée de façon autonome comme « éthique environnementale » ou « écoéthique ». Cette articulation a accompagné la notion jusqu’aujourd’hui, bien que le pôle « éthique médicale » privilégiant la personne humaine ait le plus souvent dominé.
Après la Seconde Guerre mondiale, le développement de la bioéthique se réalise dans un contexte historique marqué par la prise de conscience de l’ambivalence des progrès techno-scientifiques et de la nécessité d’une évaluation éthique des progrès techno-scientifiques. Cette histoire fut d’abord américaine ; l’Europe y joua un rôle croissant dès les années 1980 et elle s’est mondialisée au cours de la décennie suivante. La création d’un nouveau type d’institutions – les comités de (bio)éthique – y est centrale ; elle montre que les enjeux en question sont également d’ordre biojuridique et biopolitique.
Bien que la bioéthique américaine se soit dotée dès le début d’une éthique spécifique (principlism), c’est l’éthique procédurale de la discussion qui offre le cadre le plus approprié aux comités pluridisciplinaires et pluralistes de haut niveau aidant à la gouvernance de sociétés démocratiques. Mais la pratique générale de la bioéthique est à la croisée de nombreuses approches qui alimentent la discussion sans nécessairement converger : l’éthique kantienne, l’éthique des droits de l’homme, l’éthique utilitariste, l’éthique narrative, l’éthique du soin, la casuistique, etc.
Les questions traitées par la bioéthique sont tantôt anciennes, tantôt nouvelles ou renouvelées par les avancées techno-scientifiques et les évolutions sociales. Elles peuvent être très générales et philosophiques, telle la question de la dignité humaine ou des limites de la liberté individuelle ; ou relativement techniques telle la régulation de nouveaux procédés de thérapie génique. Des innovations et des recherches en plein essor dans le domaine du numérique et dans celui des technologies convergentes affectent en profondeur la place et le rôle de la médecine, sollicitée par des intérêts économiques et politiques qui lui sont étrangers et par des demandes d’amélioration et (ou) augmentation des performances individuelles dépourvues de justification thérapeutique. Rapports et avis des comités de (bio)éthique de haut niveau offrent l’accès public le plus sérieux aux questions bioéthiques et à leur discussion tant pour le passé que pour le présent.
Historique
L’introduction américaine du néologisme bioethicsau début des années 1970 fut précédée par celle du néologisme allemand Bio-Ethik, qui apparaît pour la première fois dans un article de Fritz Jahr en 1927 (« Bio-Ethik: Eine Umschau über die ethischen Beziehungen des Menschen zu Tier und Pflanze », in Kosmos: HandweiserfürNaturfreunde, vol. 24). Pasteur protestant et philosophe, Jahr proposait d’étendre l’impératif catégorique de Kant touchant le respect de la personne humaine à l’ensemble des formes de vie : il en résultait un « impératif bioéthique » fondé sur le fait scientifique de la solidarité des humains avec le monde vivant et sur la vertu de compassion. Jahr considérait ainsi la bioéthique comme une discipline morale rendue nécessaire par le développement des sciences et des techniques.
Réconcilier les deux cultures
Bien qu’elle soit demeurée sans lendemain, la Bio-Ethik de Jahr annonce celle du « père » traditionnel de la bioéthique : Van Rensselaer Potter. Dès[...]
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Écrit par
- Gilbert HOTTOIS : membre de l'Académie royale de Belgique, professeur émérite de l'université libre de Bruxelles (Belgique)
Classification
Média
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