BIOÉTHIQUE ou ÉTHIQUE BIOMÉDICALE
Une pensée du consensus
Les questions de bioéthique ne naissent pas simplement des avancées biomédicales ; elles sont également suscitées par le contexte politico-social : les démocraties pluralistes, libérales, évolutives et multiculturelles. Dans un cadre social culturellement et moralement homogène et stable, elles seraient réglées par l’application de la morale commune. Comme il existe plus d’une conception de la vie bonne, plus d’un système de valeurs, le comité d’éthique de haut niveau ne peut se référer à une autorité morale unique, magistère religieux ou idéologie totalitaire. La légitimité de ses avis dépend de la méthode suivant laquelle ils ont été obtenus. L’éthique en comité est procédurale et impose le respect de conditions. Il importe que le comité soit pluridisciplinaire (composé d’experts des sciences biomédicales et des sciences humaines y compris le droit, la théologie et la philosophie), pluraliste (représentation des grandes idéologies philosophiques et religieuses) et indépendant, dans ses délibérations et ses conclusions, du pouvoir politique qui l’a institué. Son fonctionnement interne doit permettre l’expression et la discussion argumentée des voix divergentes. La procédure éthique pour conclure n’est pas le vote à la majorité mais le consensus, avec, le cas échéant, l’expression des désaccords et de leurs arguments. S’agissant de questions touchant plus ou moins directement aux grandes interrogations de la vie humaine (naissance, mort, identité, sexualité, conscience, liberté, avenir…), il n’est pas surprenant que des désaccords persistent. Un consensus peut n’être que pragmatique : on s’accorde sur telle disposition – par exemple, interdire la transgenèse (OGM) – sans qu’il y ait d’entente sur les raisons de cet accord. Ainsi peut-on rejeter la transgenèse par respect de l’ordre naturel, par crainte pour la biodiversité, par compassion à l’égard des souffrances infligées au vivant, parce que le consommateur ne sera pas assez informé, par crainte des monopoles, etc. Le consensus pragmatique est indispensable dans nos démocraties complexes : il permet de décider et d’agir tout en préservant la liberté de pensée et la diversité des croyances. Il permet aussi, le cas échéant, de rouvrir le débat. La mission du comité est d’informer et d’éclairer le public et les décideurs, non de se substituer à ces derniers qui assument la responsabilité politique des choix qu’ils feront en connaissance de cause. Les comités nationaux et internationaux existants réalisent à des degrés divers ce type idéal. Il n’est pas rare qu’ils soient instrumentalisés par les pouvoirs qui les ont mis en place : une décision politique est plus facile à prendre et paraît plus légitime dès lors qu’elle jouit de l’aval d’un prétendu « comité de sages ».
La gestion des problèmes bioéthiques est très différente selon qu’il s’agit d’un comité de haut niveau, de comités locaux cliniques ou de la recherche. Mais l’introduction, même très limitée, d’une dimension collective – le regard de l’autre – dans l’évaluation éthique des questions est une marque de la bioéthique.
Les principes de la bioéthique
Nous sommes loin de la déontologie et de l’éthique médicales traditionnelles caractérisées par l’autorité paternaliste du médecin, seul juge du bien de son patient dans une perspective naturaliste où le médecin n’est qu’un auxiliaire de la nature. La reconnaissance des « droits du patient » et des demandes et désirs individuels débordant le cadre strictement thérapeutique fait partie de cette évolution. La biomédecine n’a cessé de développer des capacités d’intervention sur l’être humain, de la conception à la mort, du génome au cerveau. La « chose médicale » intéresse un nombre de plus en plus grand d’acteurs non médecins en raison de sa portée croissante pour[...]
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Écrit par
- Gilbert HOTTOIS : membre de l'Académie royale de Belgique, professeur émérite de l'université libre de Bruxelles (Belgique)
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