Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BIOGRAPHIE

La biographie constitue une forme textuelle essentielle de l'Occident. Certes, ce genre ne jouit pas du plus haut prestige et l'histoire le regarde avec quelque suspicion. Mais, abondant depuis plus de deux millénaires, longtemps sollicité comme modèle culturel, avec Plutarque et ses Vies parallèles, et s'étendant des usages les plus triviaux aux élaborations les plus littéraires, il a valeur exemplaire pour toute réflexion sur la textualité. Il subit donc un décalage entre une pratique majeure et une théorisation mineure. Décalage perceptible dans le lexique : le mot de « biographie » n'est apparu qu'au xviie siècle. Décalage dû à ce que sa théorisation trop partielle a longtemps mal rendu compte des nombreuses catégories qu'il recouvre : écartelé entre l'utilitaire, l'érudition, le romanesque, la quête d'identité, il est au carrefour de l'histoire, de la littérature, du droit, de la philosophie, donc des manières dont notre civilisation organise ses discours, ses images d'elle-même, et ses moyens de réflexion. Une synthèse en a été enfin faite récemment par Daniel Madélénat ; elle rend possible et nécessaire, désormais, une reprise de la problématique.

L'illusoire totalité

Le biographique englobe aussi bien des notices de dictionnaire, des articles journalistiques (les nécrologies des personnalités, voire les petites annonces matrimoniales, etc.), des discours juridiques (la présentation de la vie de l'accusé par le président de tribunal) que des livres entiers. Ce polymorphisme impose d'examiner tout l'espace du genre, tant ses usages ordinaires que ses spécifications littéraires.

Pourquoi compose-t-on des biographies ? Par besoin de connaître le passé, mais aussi et toujours dans une action de jugement. Sur le plan interne, le récit d'une vie engage la compréhension (interpréter, justifier, etc.) et l'évaluation (admirer, condamner ou absoudre, etc.). Mais sur le plan externe, il est tributaire d'un jugement antérieur, un préjugement : dans la tradition, la biographie c'est d'abord la Vie des hommes illustres de Plutarque, selon la formule que Perrault utilise encore à la fin du xviie siècle (1696) ; en la relatant, soit on entreprend de discuter le jugement de l' histoire, soit de le confirmer tout en le modalisant. Dans les emplois utilitaires de cette forme, il n'en va pas autrement : relater la vie d'un accusé, par exemple, est motivé par un préjugement (l'accusation) qu'il s'agit de confirmer et de modaliser, ou d'infirmer.

Les configurations possibles de ces fins n'ont guère été analysées, les débats se bornant aux perceptions empiriques qui pouvaient en résulter. Pourtant, on doit distinguer entre ce qu'on peut désigner comme épibiographie et comme éthobiographie. Une épibiographie est un récit de vie convoqué à l'appui d'un autre discours (par exemple, les notices qui, dans les manuels littéraires, accompagnent un extrait des œuvres d'un écrivain), ou un récit d'un aspect d'une vie, qui contribue à en édifier le monument et conforte le préjugement. Une éthobiographie est vouée à restituer toute une vie ou une manière d'être.

André Maurois, dans Aspects de la biographie (1930), voyait une dilemme entre « faire de l'homme un système clair et faux » et « renoncer à en faire un système et à le comprendre ». Cette contradiction n'a de sens que si la biographie prétend rendre compte de l'« homme ». Ce qu'elle a fait longtemps, et qui lui a valu toutes sortes de critiques justifiées. Proust dit à bon droit, « contre Sainte-Beuve », que le moi social d'un artiste n'est pas significatif de son moi créateur ; l'érudition à perte de vue ne signifie pas que le récit saisit ce qu'il y a de signifiant chez l'individu, et, à l'inverse, la tentative de comprendre par[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle et à l'université d'Oxford

Classification

Autres références

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par , , , et
    • 24 585 mots
    • 33 médias
    ...après à une « nouvelle intériorité ». Elle s'exprime, dans le roman comme au théâtre, dans des œuvres très fortement autobiographiques ou simplement biographiques : paraissent aussi bien l'Histoire d'une vie d'Élias Canetti que les travaux de Peter Schneider (Lenz), de Bernward Wesper...
  • AUBREY JOHN (1626-1697)

    • Écrit par
    • 396 mots

    Écrivain et collectionneur d'antiquités, surtout connu pour les courtes biographies qu'il a rédigées, avec beaucoup de perspicacité, de verve et parfois de mordant, sur ses contemporains. Né à Easton Piercy, dans le Wiltshire, le 12 mars 1626, il fit ses études à Oxford (Trinity College) puis s'initia...

  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par
    • 7 522 mots
    • 5 médias
    ...observations de détail » redoublent l'escalade ou la spéléologie biographiques. Le modèle de l'autobiographie classique est à chercher dans le système biographique du personnage romanesque, de Balzac à Zola, et plus encore chez Taine (milieu, hérédité). Son mythe préféré est celui de la lutte entre l'individu...
  • BIOGRAPHIES D'ARTISTES

    • Écrit par
    • 2 389 mots

    La vie d'artiste est un genre littéraire d'une grande ancienneté, abondamment illustré depuis la Renaissance. On en fait remonter l'origine aux commentateurs de Dante qui ont élucidé et développé la mention lapidaire des noms de Cimabue et de Giotto insérée dans la Divine...

  • Afficher les 56 références