BIOGRAPHIE
Un genre en division
Au fil du temps, la biographie a balancé entre la quête ontologique et la construction éthobiographique. On peut y distinguer selon ces mouvements cinq grandes phases, chacune ayant laissé des modèles qui restent actifs ensuite.
Liée par ses origines à l'épitaphe et à l'éloge funèbre, la biographie a d'abord pris la voie de la vie des grands hommes, servant à enseigner la morale et l'histoire : ainsi Plutarque, ou Suétone avec ses Vies des douze Césars. Elle tend alors à dessiner des personnalités représentées comme des types. Le Moyen Âge en fera grand usage dans la version hagiographique. À partir de la Renaissance, le retour aux textes anciens avive ce modèle dans le domaine profane : l'histoire des arts et de la littérature s'en saisit, avec notamment les Vies des peintres de Vasari (1550), et il est prépondérant aux xviie et xviiie siècles.
La vision romantique de l'homme bouleverse ces schémas : au lieu de figures « typisées » et stylisées, on y désire des images « vraies », comprises par intuition et sympathie. De Samuel Johnson (Vies des poètes anglais, 1779-1781), à Sainte-Beuve ou Chateaubriand (Vie de Rancé, 1844), le rêve ontologique est là en apogée, sous-tendu par l'autobiographie selon Rousseau, par le roman d'apprentissage selon Goethe, le roman historique et le roman balzacien.
Mais, dès le milieu du xixe siècle, s'affirme la biographie positiviste, bourrée d'érudition factuelle, circonspecte à l'égard des compréhensions par « sympathie ». Dans la critique littéraire, elle produit le modèle bien connu des études sur « l'homme et l'œuvre » ; dans sa version généraliste, elle donne les vingt-cinq volumes de la Biographie universelle de Michaud (de 1811 à 1862).
Une série de questions nouvelles surgissent à la charnière des xixe et xxe siècles, avec le développement des sciences humaines modernes, en même temps que les interrogations aiguës sur l'écriture, ses possibles et ses limites. Le genre voit à ce moment son audience croître en même temps qu'il se transforme en se diversifiant. Il fait le succès, en Angleterre de Lytton Strachey (La Reine Victoria, 1921), en Allemagne de Emil Ludwig (Guillaume II, 1926), en France d'André Maurois, cependant que la psychanalyse structure un système explicatif des faits et des créations par les traumatismes de la petite enfance (Edgar Poe, sa vie, son œuvre [1933], de Marie Bonaparte) et que la tentation romanesque bat son plein (série Le Roman des grandes existences..., où Mauriac se fait connaître, essais de compréhension en profondeur comme Le Roman de M. de Molière, de Boulgakov, 1927).
À l'époque contemporaine, les biographies gardent un succès de librairie régulier (2 p. 100 de la production de livres en France) et prolifèrent en épibiographies de toutes sortes d'usages et de supports. Un modèle moyen s'est établi, qui recherche l'équilibre entre l'art du récit agréable, l'érudition et les propositions explicatives (par exemple R. Duchêne, La Fontaine, 1990). Le récit de vie romancé, lui, va bon train, à grands renforts de stéréotypes et de pseudo-interprétations. En même temps, une curiosité s'est affirmée pour les biographies de personnes « obscures » significatives pour l'histoire sociale, ou des mentalités. Enfin, les recherches interprétatives se sont complexifiées, notamment pour l'histoire et la critique des arts et lettres. La psychanalyse a joué ici un grand rôle : psychocritique de Charles Mauron (L'Inconscient dans l'œuvre et la vie de Racine, 1956), psychanalyse existentielle dessinée par Sartre (L'Idiot de la famille, 1971) sur Flaubert... La sociologie y prend place à son tour : la « biographie sociale », esquissée par Erwin Panofsky (« Vie de l'abbé Suger », in [...]
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Écrit par
- Alain VIALA : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle et à l'université d'Oxford
Classification
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