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BIOLOGISME

Le contexte culturel

Au début des années 2010, la connaissance de ces derniers développements reste souvent confidentielle au sein des sciences humaines et sociales. De leur côté, les théories biologisantes du social se développent, portées par un contexte institutionnel favorable, en termes de financement notamment, mais avec la plupart du temps une connaissance très sommaire des acquis des sciences sociales.

Cette faiblesse des échanges ne doit toutefois pas faire oublier toutes les autres formes de biologisme circulant dans le monde social, biologisme plus « culturel » ou plus « appliqué », partiellement déconnecté de la recherche en train de se faire. Pour en rester au seul domaine culturel, on peut en effet relever de nombreuses manifestations d’un biologisme conquérant dans l’édition, la presse ou les médias audiovisuels depuis les années 1970. En France, la production éditoriale regorge non seulement d’essais de grands « savants » délivrant leur vision du sens de l’existence ou du devenir des sociétés sur la base d’extrapolations des acquis de la recherche, mais également d’une myriade d’essais de « psychologie populaire », dont les conseils pour s’orienter dans la vie s’appuient au moins partiellement sur des considérations biologisantes. Les noms de Boris Cyrulnik, Christophe André ou David Servan-Schreiber s’imposent dans les médias écrits et audiovisuels dans les années 1990-2000. Leur apport est capital pour comprendre la présence, la légitimation et certaines caractéristiques mêmes du biologisme contemporain, nébuleuse à la fois diversifiée et présentant comme caractéristique commune une « entrée » sur le monde social via la psychologie.

Ainsi, au sein du biologisme, trouve-t-on à la fois des théories réductionnistes des comportements humains et des approches plus libérales pour qui la connaissance de déterminations biologiques des comportements peut favoriser une prise de conscience chez l’individu et la possibilité d’agir sur son existence en vue d’une adaptation optimale au monde tel qu’il est. Cette situation n’a rien d’original par rapport à celle d’autres pays. Dans le domaine anglo-saxon, cohabitent toujours des essais sur les explications génétiques des différences entre groupes sociaux, cultures ou civilisations et une production psychobiologique dont l’un des exemples les plus connus est le best-seller des psychologues australiens Allan et Barbara Pease, Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes routières ? (trad. 1999), pour qui « les recherches montrent que nous sommes davantage un produit de notre biologie que les victimes de stéréotypes sociaux ». La fascination pour les explications biologisantes relève de configurations intellectuelles et culturelles à la fois propres à chaque pays et inscrites dans un contexte plus global.

En résumé, la nébuleuse du biologisme contemporain « dérive » des réalisations effectives de la recherche pour qui l’être humain est, au choix ou en même temps, un grand singe, un génome ou un « paquet de neurones », pour reprendre la célèbre expression de Crick. Les raisons de son essor sont de plusieurs ordres : épistémologiques et/ou idéologiques (proposer des grilles de lecture centrées sur les paramètres comportementaux individuels « internes », minorant ou occultant de facto les structures sociohistoriques régissant le monde social), mais aussi « commerciales » au sens large (se distinguer des concurrents au sein de circuits de production symboliques de plus en plus concurrentiels, tout en exploitant les « filons » qui marchent). L’attrait exercé par cette nébuleuse est en outre différencié. Depuis quelques années, le neurocognitivisme semble davantage retenir l’attention du monde académique, tandis que le grand public manifeste plutôt son intérêt soutenu pour les diverses variantes de psychologie évolutionniste[...]

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Écrit par

  • : docteur en sciences sociales, maître de conférences en sociologie à l'université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense
  • : chercheuse associée au Centre d'histoire du XIXe siècle, enseignante à Sciences Po Paris

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  • SOCIOBIOLOGIE

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