BIOPHYSIQUE
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Analyse et synthèse des structures cytologiques
Les ensembles supramoléculaires, qui vont de l'association de quelques éléments bien définis aux architectures déjà très complexes comme des fragments isolés d'organites cellulaires, ne sont plus seulement le siège de phénomènes relativement élémentaires sous-tendant une fonction isolée, comme une activité enzymatique. Ils intègrent un grand nombre de processus chimiques et physiques d'où émergent des propriétés et des fonctions nouvelles qui ne sont pas réductibles à la somme des phénomènes élémentaires. Le problème essentiel est alors de relier l'organisation de ces ensembles aux séquences d'événements qu'ils ordonnent dans l'espace et le temps. Les points de vue, les objectifs et les méthodes changent ; les recherches d'essentiellement structurales deviennent de plus en plus fonctionnelles au fur et à mesure que le niveau de complexité s'accroît et que l'on aborde les grandes fonctions vitales, reproduction et développement, métabolisme et bioénergétique, motilité, excitabilité. Avec l'étude de ces superstructures, on change d'échelle de grandeur et la microscopie électronique joue un rôle important, en permettant de visualiser de manière relativement directe leur organisation. Il ne s'agit plus de déterminer la structure interne d'une macromolécule, mais la disposition relative des macromolécules entre elles. Les développements de la microscopie électronique de haute résolution permet de percevoir des détails de l'ordre du nanomètre ; c'est dire qu'il est possible de visualiser avec une bonne précision une protéine de 8 nanomètres de diamètre, mais surtout ses relations spatiales avec les autres constituants. Comme pour la diffraction X, les images obtenues ne permettent pas l'étude de la dynamique de ces systèmes, bien que par des méthodes de congélation ultrarapide on puisse visualiser en une série d'« instantanés » des changements de structure survenant au cours d'événements ne durant guère plus de quelques dizaines de millisecondes. Mais c'est toujours aux grandes techniques de spectroscopie de résonance et de fluorescence en lumière polarisée que l'on a recours dans les recherches concernant la dynamique de systèmes complexes.
Parmi les problèmes importants traités à ce niveau d'organisation, on peut citer l'étude du matériel nucléaire, la chromatine : par-delà l'enroulement dit primaire des brins d'acides désoxyribonucléiques, il est possible de définir différents niveaux d'organisation : le problème primordial est celui des relations entre ce que l'on appelle l'enroulement tertiaire dans les nucléosomes, en association avec les histones, protéines spécifiques du noyau, ainsi que l'organisation quaternaire ou superenroulement en solénoïde et autre forme de condensation du matériel nucléaire, avec leur fonction au cours du cycle cellulaire, la transformation, le vieillissement et la différenciation. Ces études structurales mettent de plus en plus l'accent sur le caractère dynamique de l'organisation du DNA dans la chromatine. Par-delà, la question est de savoir si ces structures quaternaires sont liées de façon spécifique avec les formes d'organisation d'ordre encore supérieur que l'on peut détecter aujourd'hui grâce au développement de ce que l'on appelle la biophysique cytologique.
Un autre problème important est celui de la contraction musculaire et plus généralement de la motilité cellulaire ; celle-ci est fondée sur l'association de deux protéines, l' actine et la myosine, que l'on retrouve dans toutes les cellules douées de motilité, mais qui est particulièrement développée dans les cellules musculaires. La myosine est une enzyme qui par hydrolyse d'un nucléotide, l'ATP, libère l'énergie contenue dans cette molécule et l'actine est un activateur de cette enzyme. Un des problèmes posés est de savoir comment l'énergie chimique libérée est convertie en énergie mécanique au cours de la contraction. Dans les muscles, la myosine est agrégée en filaments, dits épais, par rapport aux filaments d'actine, beaucoup plus fins. Les deux types de filaments s'organisent dans les cellules musculaires en un réseau particulièrement régulier, qui a pu être parfaitement caractérisé par diffraction X et microscopie électronique dans les différents états de contraction et de relaxation. On a mis en évidence que c'est par un glissement relatif des deux types de filaments que le raccourcissement du muscle se faisait, utilisant l'énergie libérée au cours de leur interaction. Par quel mécanisme précis ce glissement s'opère-t-il ? Cela n'est pas encore complètement élucidé et les recherches à ce sujet sont très activement menées, utilisant la diffraction X à des temps de résolution compatibles avec la durée du phénomène, dix millisecondes environ, ainsi que la résonance paramagnétique électronique et la polarisation de fluorescence. Un autre problème est celui de l'initiation de la contraction par le signal convoyé par les fibres nerveuses de commande. Mais cela nous fait entrer dans des études biophysiques relatives aux membranes biologiques et à leurs propriétés fonctionnelles.
Les membranes représentent le mode d'organisation fondamentale de la matière vivante. Elles sont le support de multiples fonctions vitales : barrières limitantes non seulement des cellules, mais aussi de tous les organites intracellulaires, elles en contrôlent la composition spécifique ; surface de contact avec le monde extérieur, la membrane cellulaire est le lieu de tous les échanges de matière et d'information ; enfin les membranes sont le siège d'un grand nombre de processus métaboliques et tout particulièrement des deux grands processus bioénergétiques, la photosynthèse et la respiration. Les recherches biophysiques ont montré que la structure des membranes biologiques est fondée sur l'association de protéines et de lipides en films très minces de cinquante angströms d'épaisseur environ, dont la nature hydrophobe permet de délimiter de façon très stricte les différents milieux aqueux de la cellule et la cellule du monde extérieur. Toutes les grandes méthodologies physiques ont été mises en œuvre pour comprendre comment des structures aussi fragiles (aucune liaison chimique ne lie ces éléments entre eux) pouvaient avoir une telle stabilité et se charger de fonctions aussi diverses. La stabilité est due à un état physique très particulier, dénommé « cristal liquide », dans lequel les molécules lipidiques et protéiques, tout en étant soumises à un ordre rigoureux, sont capables de se déplacer les unes par rapport aux autres. Cela résulte de la nature de leur système d'interaction, propre aux substances lipidiques, qui est incompatible avec le système d'interaction qui prévaut dans les milieux aqueux adjacents entre molécules hydrophiles. Ces interactions, sur le plan local entre une protéine et les lipides qui l'entourent, sont étudiées intensivement : elles conditionnent en effet la conformation fonctionnelle de la protéine. Ce sont les protéines seules qui sont responsables des multiples fonctions spécialisées dont l'intégration, grâce aux lipides, aboutit en fin de compte à la réalisation des phénomènes vitaux. Mais ceux-ci ne peuvent se manifester eux-mêmes que dans la mesure où se maintient l'intégrité de la structure globale de la membrane tout entière.
On voit apparaître ici l'organisation vraiment caractéristique de la matière vivante : la compartimentation en milieux aqueux de composition et fonctions spécifiques qui ne sont en contact les uns avec les autres et avec le monde extérieur que par l'intermédiaire de ces structures membranaires qui garantissent l'intégrité et la permanence de leur identité, au travers de flux intenses de matière et d'énergie et un incessant renouvellement.
L'étude des mécanismes de transport et d'accumulation ou au contraire d'excrétion des ions et molécules de toute sorte par les protéines qui agissent comme des pompes mues par l'énergie métabolique est un aspect important des recherches biophysiques membranaires qui tentent d'élucider ces structures et les propriétés qui assurent leur grande efficacité et leur haut degré de spécificité pour une substance donnée. Un des outils majeurs dans ces recherches est le marquage à l'aide d'isotopes radioactifs des molécules dont on veut suivre le mouvement. Ces « pompes » travaillent contre des « fuites » incessantes à travers la membrane. Mais ces fuites ne sont pas des phénomènes aléatoires dus à des défauts de structures, à un manque d'étanchéité. Elles sont au contraire étroitement et spécifiquement régulées pour la plupart et servent de support à d'autres fonctions essentielles. C'est le cas des fuites ioniques qui sont responsables de la polarisation électrique de la membrane. Cette polarisation elle-même apporte une contribution importante à l'organisation structurale des composants membranaires.
On atteint ici une notion nouvelle : la structure dépend pour une large part des phénomènes dynamiques qu'elle organise et qui en deviennent une part intégrante ; cette notion a été approfondie par des thermodynamiciens de l'école de Prigogine. Sur le plan fonctionnel, les mouvements ioniques font émerger les propriétés d'excitabilité électrique dont dépend le fonctionnement du système nerveux. L'étude des propriétés électriques des membranes et des mécanismes du mouvement des ions à travers des « canaux » protéiques spécifiques, la génération et la conduction de l'influx nerveux qui ne sont que des manifestations de ces mouvements, l'intégration de tous ces signaux électriques élémentaires en information cohérente traitée par le système nerveux central, représentent un chapitre majeur de la biophysique.
La bioénergétique moderne, avec les travaux de P. Mitchell, a mis en lumière le rôle capital que joue l'asymétrie structurale des membranes, qui permet de définir fonctionnellement un « intérieur » et un « extérieur » rigoureusement séparés. C'est sur ce principe d'asymétrie que repose la logique des mécanismes complexes qui régissent les grands processus de photosynthèse, source ultime de toute l'énergie utilisée par le monde vivant et que se fait ce que l'on appelle la transduction de l'énergie lumineuse en énergie potentielle électrochimique, puis en énergie chimique, avec des rendements extrêmement élevés : ces mécanismes s'organisent en une série de boucles successives, alternant de part et d'autre de la membrane, processus physiques et chimiques.
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Écrit par
- Claude Michel GARY-BOBO : professeur de biophysique à l'université de Paris-VI-Pierre-et-Marie-Curie
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- MICROSCOPIE ÉLECTRONIQUE
- TRANSPORTS MEMBRANAIRES
- STRUCTURE, biologie
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- CRISTALLOGRAPHIE
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