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BIOPOLITIQUE


			Michel Foucault, une autre histoire de la pensée - crédits : Bettmann/ Getty Images

Michel Foucault, une autre histoire de la pensée

C'est à Michel Foucault qu'on doit l'invention du concept de « biopolitique ». Ce terme, apparu en 1974 dans une conférence prononcée au Brésil sur « la médecine sociale », est largement repris et défini en 1976, simultanément dans l'œuvre publiée (La Volonté de savoir) et le cours public au Collège de France (leçon du 17 mars, « Il faut défendre la société », 1997). Foucault parle à cette époque plus généralement de « biopouvoir ». Cette notion lui sert à distinguer une forme « traditionnelle » d'une forme « moderne » de pouvoir exercé sur la vie, marquant par là une importante césure dans l'histoire des techniques par lesquelles la conduite des hommes est dirigée, leur comportement agi, leur corps investi.

Une nouvelle logique de pouvoir

Cette rupture est cependant plus théorique que proprement historique, car les deux formes ne cessent en fait de coexister. La forme traditionnelle est le pouvoir de « souveraineté ». Il procède par prélèvement contraint et marquage symbolique. Par exemple : soustraire une partie des récoltes, supplicier les corps de condamnés, réquisitionner des richesses matérielles ou des forces de travail, offrir des cérémonies où éclate la puissance du prince. Ce premier pouvoir « fait mourir et laisse vivre ». Le souverain, le roi ou l'État, se défend de ses ennemis, soit en les tuant directement (ennemis intérieurs), soit en envoyant ses sujets mourir pour le sauver des ennemis extérieurs. Il n'intervient sur la vie de ses administrés que sous la forme d'une menace de mort.

Le biopouvoir, à partir de l'âge classique, va fonctionner d'une manière très différente. Foucault en décrit deux grandes modalités : discipline des corps et biopolitique des populations. Mise en œuvre dans des institutions (casernes, usines, écoles), la discipline consiste à investir, par des techniques de répartition dans l'espace, de décomposition des gestes, d'examen des capacités, par des mécanismes de surveillance et de sanction, le corps de chaque individu, afin d'en extraire des forces utiles, de les finaliser et de les majorer. Il ne s'agit plus simplement de marquer le corps (comme dans la cérémonie des supplices) ou d'exiger de lui des signes extérieurs de soumission, mais, par cette « anatomo-politique », de le rendre docile, adaptable, rentable. La « biopolitique » par ailleurs – au sens étroit d'une des deux modalités du biopouvoir – consiste, cette fois pour l'État, à réguler la « population » : modifier les taux de natalité, enrayer les endémies, réduire les infirmités ou invalidités, contrôler le milieu général d'existence (politiques de la ville). L'objet de la biopolitique devient la « population », et non plus le « peuple » des « sujets » appartenant au souverain. Par « population », il faut entendre un processus biologique anonyme et massif, quantifiable, évaluable (à travers les études démographiques, les sciences statistiques, etc.), susceptible de variations comme d'infléchissements. La régulation de la population par l'État s'accomplit au moyen de mesures souples et continues (pressions assurantielles, proposition de règles d'hygiène, politiques d'incitation), bien éloignées du tranchant autoritaire et brutal des manifestations du souverain. Au point de recoupement des deux logiques de biopouvoir (discipline institutionnelle des corps individuels et régulation étatique de la population comme séquence biologique), on trouve la sexualité. L'importance prise par la sexualité au xixe siècle ne relève donc pas pour Foucault de la prise en compte d'une réalité anthropologique essentielle qui, par-delà les obscurantismes et les préjugés, aurait été découverte par des savants audacieux, mais s'explique parce qu'elle constitue pour[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris

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Médias


			Michel Foucault, une autre histoire de la pensée - crédits : Bettmann/ Getty Images

Michel Foucault, une autre histoire de la pensée

Giorgio Agamben - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

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