BIOPOLITIQUE (anthropologie)
Dans son cours au Collège de France en 1976, intitulé « Il faut défendre la société », Michel Foucault a défini la biopolitique comme l’application des techniques de pouvoir aux phénomènes vivants. Depuis la fin des années 1990, date à laquelle ce cours a été publié, le terme « biopolitique » a fait l’objet de nombreuses reprises en philosophie politique et en sciences sociales, qui en ont développé les significations. Si le monde contemporain semble entièrement régi par la biopolitique, au sens où la santé de la population justifie de plus en plus de décisions politiques, il faut comprendre en quoi cette définition générale a transformé les conceptions classiques du pouvoir avant d’être à son tour reprise et transformée par l’anthropologie à travers la relation humain-non humain.
Un regard du pouvoir sur la vie
Comme le souligne le philosophe italien Roberto Esposito, la notion de biopolitique n’a pas été inventée par Foucault. Probablement forgée dans les années 1930 par le Suédois Rudolf Kjellén, pour désigner une politique d’expansion nécessaire à tout État entendu comme force naturelle, elle réapparaît dans les années 1960 en France, selon une acception néo-humaniste qui prend acte de l’histoire du régime nazi. Elle désigne alors une philosophie politique qui adapte les valeurs civilisatrices aux transformations des concepts et des techniques biologiques par la révolution moléculaire, comme le fait Kenneth Cauthen dans Christian Biopolitics. A Credo and Strategy for the Future, publié en 1971. La reprise du terme par Foucault en 1976 apparaît donc comme un effort de réflexivité sur une tendance en cours de formation : « Ce qui, dans les déclinaisons précédentes de la biopolitique, était présenté comme un donné inaltérable – la nature, ou la vie humaine en tant que telle – devient désormais un problème. » (Esposito, 2004) Il s’agit en effet pour Foucault de comprendre ce qui se transforme dans les relations de pouvoir lorsqu’elles se situent dans le domaine général de la vie.
Foucault utilise pour la première fois la notion de biopouvoir dans le dernier chapitre de La Volonté de savoir. Il s’agit d’un texte charnière, qui ouvre les analyses du pouvoir disciplinaire menées dans Surveiller et punir (1975) au champ de la sexualité. Foucault y critique l’hypothèse selon laquelle le pouvoir vise à limiter le désir, pour montrer que les techniques de pouvoir, observées dans leurs effets, ne cessent au contraire de faire parler du sexe – hypothèse qui est au principe de La Volonté de savoir (1976). Le terme de biopouvoir apparaît à la fin de l’ouvrage comme une alternative à l’expression « pouvoir répressif » alors mobilisée par le freudo-marxisme. Foucault voit là un passage historique du pouvoir souverain, qui porte sur les sujets considérés comme des porteurs de droits, au biopouvoir, qui porte sur les sujets considérés comme des corps vivants. Le premier s’exerce dans l’acte de « faire mourir et laisser vivre », dans le moment spectaculaire du supplice où le souverain punit celui qui l’a défié ; le second vise à « faire vivre et laisser mourir », la mort apparaissant comme le seul moment où l’individu échappe à un pouvoir qui a entièrement contrôlé son existence. « On pourrait dire qu’au vieux droit de faire mourir et laisser vivre s’est substitué un pouvoir de faire vivre ou de rejeter dans la mort. S’ouvre ainsi l’ère d’un "biopouvoir". […] Ce ne fut rien de moins que l’entrée de la vie dans l’histoire – je veux dire l’entrée des phénomènes propres à la vie de l’espèce humaine dans l’ordre du savoir et du pouvoir » (Foucault, 1976).
Foucault précise ensuite que ce basculement s’est opéré en deux étapes : une « anatomo-politique de l’individu » à la fin du xviie siècle à travers les techniques de discipline[...]
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Écrit par
- Frédéric KECK : directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale
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