Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BIOPOLITIQUE (anthropologie)

Antonio Negri et Giorgio Agamben : deux conceptions du biopolitique

Le concept de biopolitique oscille ainsi entre une conception contraignante de l’individu et une vision plus ouverte de la population. Cette opposition apparaît à travers la reprise du concept dans les années 1990 par deux philosophes italiens, Antonio Negri et Giorgio Agamben, qui en font un outil de diagnostic de la modernité. Negri situe le passage du pouvoir souverain au biopouvoir non à la fin du xviie siècle, comme Foucault, mais dans les années 1970, c’est-à-dire au moment où les États-nations abandonnent la plupart de leurs prérogatives au profit de grandes multinationales et d’organisations non gouvernementales globalisées, ce que Negri appelle avec Michael Hardt « Empire ». En déplaçant ainsi le point de rupture, Negri et Hardt modifient la conception foucaldienne du biopouvoir : ce que Foucault avait décrit comme une discipline des corps individuels serait en fait de l’ordre du pouvoir souverain, alors que le biopouvoir serait seulement ce que Foucault appelait la « biopolitique des populations ». Le passage du travail matériel au travail immatériel, défini comme l’activité de produire et d’échanger des informations, fait émerger un nouveau sujet politique, que Negri et Hardt appellent « multitude », au sens d’une communauté d’affects et de concepts. L’Empire peut alors être décrit comme le détournement du désir de sécurité de la multitude au profit d’armées de mercenaires servant des intérêts privés (Hardt et Negri, 2000 et 2004).

Cette conception de la biopolitique est optimiste car il semble qu’il suffirait à la multitude de se réapproprier son pouvoir sur la vie qui a été détourné par l’Empire pour retrouver ses potentialités  le pouvoir sur la vie serait alors contesté par les puissances de la vie. Une autre conception de la biopolitique peut être caractérisée comme pessimiste car elle voit dans la vie un ensemble de coupures qui permettent au pouvoir de se reproduire. La première coupure, celle qui passe entre la vie et la mort, permet au pouvoir de s’appuyer le pouvoir sur des coupures entre les vivants à travers le concept de race. Foucault définit en effet le racisme comme la condition d’acceptabilité de la mise à mort dans la biopolitique, ce qui signifie qu’un individu d’une autre race peut être légitimement mis à mort dans un régime moderne de pouvoir (Foucault, 1997). C’est la raison pour laquelle deux philosophes d’origine hongroise, Ágnes Heller et Ferenc Fehér, présentent la biopolitique comme une régression vers des formes pré-politiques, et lui opposent les valeurs de la démocratie (Fehér et Heller, 1994). Plus radicalement, Giorgio Agamben voit dans ce lien entre pouvoir sur la vie et pouvoir de mort la condition même du pouvoir en Occident et lui oppose une sortie du pouvoir dans l’étude de ses conditions de possibilité. Agamben analyse la notion d’Homo sacerdans le droit romain, expression qui désigne un homme condamné à vivre au ban de la société : cet homme n’était pas sacrifiable, c’est-à-dire qu’il ne pouvait pas entrer dans les rites religieux de la société, mais son meurtre n’était pas considéré comme un homicide. Selon Agamben, le statut paradoxale de l’Homo sacerillustre la logique du pouvoir souverain qui, selon les analyses du philosophe et juriste allemand Carl Schmitt, repose sur un geste d’exclusion. Le pouvoir définissant à la fois la règle et son exception, le biopouvoir repose sur la définition d’une « vie nue » (zoé) par distinction avec le bios qui est une forme de vie politique. Agamben retrouve ainsi des figures de la « vie nue » dans les prisonniers de Guantanamo, les sans-papiers enfermés dans des zones de non-droit des aéroports, ou dans l’usage qui est fait des corps des prisonniers pour des expériences médicales (Agamben, 1997 et 2003). La critique de[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale

Classification