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BIOPOLITIQUE

La norme contre la loi

Cette mutation décisive – le pouvoir, qui longtemps s'était fait reconnaître comme le maître de la mort devient l'administrateur de la vie – ne peut être isolée pour Foucault de l'apparition du capitalisme. Le biopouvoir constitue en effet une des conditions indispensables de son développement. Car il fallait tout à la fois brancher le corps des individus sur des appareils de production concrets (problème du travail) et ajuster des phénomènes globaux de population à des logiques économiques générales (exigences de la croissance). Cette transformation des logiques de pouvoir se marque encore pour Foucault par l'importance grandissante de la norme au détriment de la loi. La loi, instrument privilégié du pouvoir de souveraineté, ordonne à la façon d'un commandement (on lui obéit), établit des partages exclusifs et abstraits (elle dit ce qu'il ne faut pas faire, en laissant libre pour le reste), fixe des identités statutaires (le père, le sujet responsable, etc.). La norme, par quoi le biopouvoir se diffuse dans les vies, définit plutôt un programme d'existence complet, auquel chacun suspend une identité mouvante (rester un bon élève, une mère normale, un ouvrier docile, etc.), se sert d'une pression insistante et continue, permet de majorer d'un seul mouvement la docilité et l'utilité des corps, se présente comme une règle naturelle à suivre, sous peine de devenir un dégénéré. Cette importance de la norme se vérifie dans la médicalisation accrue des existences, la santé des populations devenant, au lieu de l'ancien salut éternel des sujets, la pierre de touche du bon gouvernement. Ce biopouvoir, s'il conditionne sournoisement plutôt qu'il ne brutalise spectaculairement, peut cependant se révéler terriblement mortifère et violent, comme l'aura démontré l'histoire du xxe siècle. Le racisme d'État comme la pratique génocidaire se comprennent en effet pour Foucault à partir du biopouvoir : c'est pour garantir les conditions de vitalité d'une population qu'on en massacrera une autre. Foucault note enfin que cette constitution d'une biopolitique finit par provoquer un retournement stratégique de la part des gouvernés : prenant au mot la promesse de l'État de bien gérer leur vie, ils lui opposent bientôt le « droit » à la vie, au bonheur, à la santé.

Foucault, après les analyses décisives de 1976, ne reviendra plus de manière frontale à l'analyse de la « biopolitique ». Pourtant, en 1979, il avait annoncé au collège de France un cours sur la « naissance de la biopolitique » (Naissance de la biopolitique, 2004). Mais il prévient très vite qu'il entreprendra finalement une vaste étude sur le « libéralisme ». Le libéralisme, qui devait constituer au départ le « cadre général » pour étudier la biopolitique, devient ce par quoi Foucault s'éloigne de cette problématique. L'étude serrée du libéralisme remet en effet fortement en cause la thèse d'un interventionnisme abusif de l'État dans l'intimité des corps, puisqu'il sera pensé précisément comme l'inquiétude de trop gouverner, le souci de laisser se déployer sans contraintes un jeu de « réalités » naturelles, objectives, comme le marché, les intérêts, etc., en repoussant toutes les contraintes artificielles. Le libéralisme suppose des formes souples et déliées de contrôle auxquelles participent les individus, bien éloignées de la prise normative sur le corps.

Les dernières recherches de Michel Foucault sur l'Antiquité grecque le détourneront encore un peu plus de recourir au terme de « biopolitique », car le bios grec (« vie ») s'y définit comme un style d'existence, une manière de vivre faisant l'objet d'un travail éthique et d'un souci de soi, bien éloignés du processus naturel[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris

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Médias


			Michel Foucault, une autre histoire de la pensée - crédits : Bettmann/ Getty Images

Michel Foucault, une autre histoire de la pensée

Giorgio Agamben - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Giorgio Agamben

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