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BISPHÉNOL A

Le 4,4-isopropylidènediphénol, dit bisphénol A (ou BPA), et d'autres molécules apparentées sont largement utilisés dans l'industrie agroalimentaire pour tapisser l'intérieur d'emballages, dans les films à usage alimentaire, dans les biberons, mais aussi pour les papiers thermiques comme révélateur de couleur, les CD, les DVD, des adhésifs, des colles, etc. Pourtant, en dépit de ces usages multiples et anciens, le BPA est interdit dans les biberons en France depuis juin 2010 et par l'Union européenne depuis fin mai 2011. Les décisions d'interdictions s'étendent progressivement à tous les pays et à tous les usages de ces molécules.

Le BPA, relâché dans son environnement, agit, en particulier durant la grossesse et durant les premières années de la vie, comme un analogue d'œstrogène, c'est-à-dire un perturbateur endocrinien qui provoque des anomalies du développement des organes génitaux mâles et une altération de la production de sperme. Ces effets ont été prouvés dans des modèles animaux et extrapolés à l'homme en dépit de bases statistiques encore insuffisantes.

En 1996, les résultats présentés par des chimistes, des toxicologues et des biologistes lors d'un congrès à Chapel Hill en Caroline du Nord ont démontré la nocivité de ces substances à des doses beaucoup plus faibles que suspecté jusqu'alors, des doses qui ne sont jamais testées en toxicologie classique. Ces molécules agissent, en effet, non seulement à des doses très faibles, mais aussi, semble-t-il, dans des fenêtres d'action très précises, comme la grossesse et la petite enfance, bien que les effets ne se voient qu'à l'âge adulte. La corrélation chez l'homme est de ce fait très difficile à prouver pour un toxicologue, ce qui explique en partie les délais avant toute réaction, en plus de l'opposition active des groupes industriels chimiques, pour lesquels il n'existe pas encore de substitut à ces molécules.

Lorsque l'on examine les articles relatifs à la toxicité du BPA, par exemple la base de données PubMed, on constate que les dentistes, en 1998, ont été les premiers à s'inquiéter d'une toxicité éventuelle. Une centaine de publications s'accumulent jusqu'en 1997, puis leur nombre explose littéralement. La réunion de Chapel Hill, publiée sous le nom de Chapel Hill consensus (disponible en ligne), a servi en quelque sorte de détonateur pour la publication de données sur de nombreux aspects de l'usage du BPA. L'interprétation des données reste souvent difficile, parfois contradictoire. Toutefois, l'ensemble suggère très fortement la nécessité d'interrompre au plus tôt l'utilisation de ces molécules.

En France, le 27 septembre 2011, la publication de deux rapports très durs de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (« Effets sanitaires du bisphénol A » et « Connaissances relatives aux usages du bisphénol A ») a été décisive. Ces rapports pointent le caractère inadmissible du retard pris dans la décision d'interdiction totale du BPA. Il n'est pas inutile de rappeler que de tels délais, dans lesquels on repère souvent l'action industrielle, et parfois étatique, sont fréquents : DDT, chlordécone, di-éthylstilboestrol, amiante...

Quoi qu’il en soit, la loi du 24 décembre 2012 suspend l’importation, l’exportation, la fabrication et la mise sur le marché de tout objet contenant du bisphénol à partir du 1er janvier 2015. L’interdiction est de fait devenue effective à cette date. Elle ne fait pas l’unanimité. Les phtalates, pourtant plus dangereux, ne sont pas frappés par la même interdiction. Même si les toxicologues s’accordent sur la nécessité d’abaisser l’exposition au toxique, les données scientifiques convaincantes quant au caractère[...]

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Écrit par

  • : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur

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