BLACK MOUNTAIN COLLEGE
Nulle école, sans doute, n'a compté dans l'histoire de l'art moderne aux États-Unis autant que le Black Mountain College. Il n'a pourtant été ouvert qu'un peu plus d'une vingtaine d'années – de 1933 à 1956 – et n'était pas une école d'art, au sens où nous l'entendons d'un établissement d'enseignement supérieur destiné à former des artistes : il faudrait bien davantage parler à son sujet d'« université libre ».
Son initiateur, John Andrew Rice, était un professeur de lettres, que ses méthodes pédagogiques non conformistes avaient fini par faire exclure du Rollins College, en Floride, où il enseignait. Dans les mois qui suivirent son éviction, Rice, son épouse, et trois professeurs qui s'étaient solidarisés avec lui, prirent la décision de créer une école susceptible de répondre à leurs idéaux. Ils choisirent de l'installer à Black Mountain, dans les montagnes de Caroline du Nord, au sein des locaux d'une congrégation protestante. Le Black Mountain College ouvrit ses portes à l'automne de 1933, sur la base non pas exactement d'un programme, mais d'une plate-forme assez vague : Rice concevait l'éducation comme une sorte de work in progress, et répugnait à lui assigner des objectifs quantifiables dans un cadre rigide. Les premiers effectifs furent logiquement recrutés, tant du côté des professeurs que de celui des étudiants, parmi les dissidents de Rollins.
Bien que le collège fût un établissement d'enseignement général, Rice souhaitait donner à la pratique des arts une place centrale, renversant en quelque sorte la hiérarchie traditionnelle qui fait du dessin, de la peinture et de la musique des disciplines marginales. Le hasard des relations allait lui fournir le professeur d'exception capable d'incarner cette ambition : le peintre Josef Albers. En effet, la fermeture du Bauhaus par les nazis et les menaces à son encontre rendaient urgent le départ d'Allemagne de ce dernier.
La très forte personnalité d'Albers et le prestige de ses cours allaient très vite en faire une figure majeure, et même le leader moral du Black Mountain College, après le départ tumultueux de Rice en 1940. Vinrent également en Caroline du Nord nombre de visiteurs liés à l'histoire du Bauhaus (Marcel Breuer et Walter Gropius, Xanti Schawinski, Lyonel Feininger...), de sorte que l'on présente souvent aujourd'hui le Black Mountain College comme l'un des rejetons américains du Bauhaus (avec le New Bauhaus de Laszlo Moholy-Nagy à Chicago). Mais il faut souligner que les ambitions des deux institutions étaient radicalement différentes. Le Bauhaus était une école soucieuse de réconcilier art et technique, et destinée à former des artistes et des designers, au terme d'un cursus fortement structuré incluant une classe propédeutique et des ateliers spécialisés. Le Black Mountain College, lui, était une université où l'on enseignait aussi bien la physique et la chimie que l'art et la littérature, selon une organisation de cours « à la carte ». Pourtant en quête permanente de moyens financiers et de nouvelles recrues, l'établissement ne délivrait pas de diplôme, mettant l'accent sur l'éducation de tous par chacun, la gestion collective et démocratique des problèmes aussi bien théoriques que domestiques, à commencer par la construction de bâtiments sur le site. Le Black Mountain College n'aura donc pas été un Bauhaus d'outre-Atlantique, et son originalité tient en revanche à la rencontre d'une ambition, typiquement américaine – retrouver en matière d'éducation l'idéal démocratique des pionniers avec les forces vives de l'intelligentsia européenne, que la guerre et les fascismes avaient contraintes à l'exil.
Martin Duberman, premier véritable historien[...]
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Écrit par
- Didier SEMIN : professeur à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris
Classification
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