BLAKE WILLIAM (1757-1827)
Peintre, graveur et poète visionnaire anglais, William Blake est l'un des artistes les plus évidemment inspirés que le monde ait connus. Ses poèmes lyriques et prophétiques, ainsi que l'œuvre gravé qui leur est lié, constituent l'une des rares mythologies originales des Temps modernes. Les grands problèmes humains – la séparation, le mal, le salut – y sont abordés par le biais d'un symbolisme anthropomorphique parfois complexe, mais d'une singulière profondeur, et dans une optique qui se réclame du christianisme, mais se rapproche surtout de l'hérésie gnostique. L'originalité essentielle de Blake réside dans l'humanisme passionné avec lequel il proclame la valeur sacrée de l'énergie créatrice en général, et de l'imagination poétique en particulier, où il voit non seulement la forme mais la source même du divin. Il annonce et devance par là la plupart des conquêtes du romantisme européen.
De la perception vulgaire au pouvoir visionnaire
William Blake est né à Londres, et il y est mort. Son père, modeste bonnetier, ne lui imposa aucune instruction primaire, mais lui fit très tôt apprendre le dessin, puis le métier de graveur, qui demeurera le sien toute sa vie. En 1782, il épouse Catherine Boucher, jeune femme presque illettrée qu'il initie à sa profession et qui lui sera jusqu'au bout d'un soutien patient et dévoué. En 1787, il perd son frère tendrement chéri, Robert. Il semble que Blake ne se soit jamais résigné à cette mort, et qu'elle ait déclenché chez lui non seulement des hallucinations, auxquelles il était prédisposé depuis l'enfance, mais surtout une prodigieuse puissance créatrice de visionnaire qui ne devait plus l'abandonner. Ses premiers poèmes (Esquisses poétiques) avaient été publiés sous forme de plaquette en 1783. À partir de 1788, il gravera lui-même ses textes et leurs illustrations, et les colorera un par un, avec sa femme, au fur et à mesure des commandes à satisfaire. Mais les acheteurs sont peu nombreux : Blake entend faire droit sans réserve à l'exigence altière d'une vocation spirituelle et esthétique hors de pair, et se trouve ainsi porté à contre-courant de la mode, obstinément voué à la solitude et à la pauvreté. C'est au jour le jour, et grâce à la sollicitude de quelques amis fidèles, qu'il pourvoira à ses besoins et à ceux de sa femme (le couple est resté sans enfants). Héritier de la tradition non conformiste, Blake fréquentera un certain temps les cercles prorévolutionnaires de Paine, Godwin, Priestley, et n'en trahira jamais l'idéal, malgré le démenti infligé par l'histoire à l'élan qui anime ses Premiers Livres prophétiques. Il se replie davantage, dans la deuxième partie de sa vie, sur son univers intérieur, et en entreprend l'exploration approfondie dans ses Seconds Livres prophétiques, reléguant définitivement à la catégorie du mythe l'apocalypse dont il avait cru entrevoir, dans les révolutions américaine et française, la réalisation historique. Il ne reçut de son vivant que l'hommage de quelques disciples affectueux, qui commanditèrent ses dernières grandes œuvres graphiques, et préservèrent le souvenir et l'héritage spirituel de leur maître. C'est à la génération suivante que la biographie de Blake par Gilchrist (1863) et l'étude enthousiaste de Swinburne (1868) parvinrent à susciter pour ce génie singulier un intérêt qui n'a cessé de croître.
« La divine forme humaine »
Tout entière orientée par la vision d'une unité perdue à reconquérir, la pensée de Blake saisit l'homme dans sa double identité de créature et de créateur, dans la tension entre la finitude de son existence et la divinité de son être. L'homme de Blake se trouve d'emblée dégagé de la culpabilité morale de sa chute. S'il est déchu, prisonnier de ses sens,[...]
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Écrit par
- Claude DOUBINSKY : agrégé de l'Université
- Régine LUSSAN : diplômée d'études supérieures d'anglais
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