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BLASPHÈME

La typologie des lois contre le blasphème

Les lois contre le blasphème sont le plus souvent distinguées en fonction de leur « objectif », de l’intérêt qu’elles visent à protéger. On observe ainsi qu’il s’agit rarement de protéger la divinité elle-même. « Dieu se défendra bien lui-même », affirmait Clemenceau au Parlement lors du vote de la loi sur la liberté de la presse de 1881, « il n’a pas besoin pour cela de la Chambre des députés ». Dans un sens voisin, Paul J. A. von Feuerbach, auteur du Code pénal bavarois qui ne visait pas le blasphème, affirmait que Dieu ne pouvait pas être offensé et que, dans le cas contraire, il ne souhaiterait pas de châtiment contre celui qui l’aurait offensé (Fokas, 2017). La plupart des analyses observent ainsi qu’à travers la pénalisation du blasphème, c’est la société dans son ensemble, voire l’État fondé sur la religion que l’on cherchait d’abord à protéger. Cette idée est fameusement exprimée dans l’arrêt « Taylor » rendu en 1676 en Angleterre, dans lequel le juge liait à la religion l’autorité de l’État.

Cette conception aurait progressivement été abandonnée au profit de la protection des « sentiments religieux », de la sensibilité des croyants. Ainsi, dans l’arrêt « Ramsey & Foote », rendu en 1883, le juge anglais Coleridge observait que les propos blasphématoires sont ceux qui « visent à insulter les sentiments et les convictions religieuses les plus profondes de l’immense majorité des personnes parmi lesquelles nous vivons ». La plus haute juridiction allemande s’est prononcée dans le même sens en 1930 à propos d’un dessin de George Grosz qui représentait le Christ en Croix avec des bottes militaires et un masque à gaz : « Une telle utilisation de ce symbole pourrait être perçue par les chrétiens comme une forme particulièrement crue d’humiliation, et blesser leurs sentiments religieux, objet de la protection » instaurée par l’infraction de blasphème.

Une typologie fondée sur la recherche de l’« objectif » des lois s’avérera néanmoins rarement concluante ; il s’agit là d’une entreprise trop incertaine et subjective. Il est plus précis d’examiner la manière dont les lois contre le blasphème définissent l’expression qu’elles visent. On peut ainsi distinguer les interdictions littérales, substantielles et conséquentielles du blasphème.

L’interdiction littérale, qui ne paraît pas exister en droit positif, réside dans l’interdiction biblique de prononcer le nom de Dieu. « Il faut prêter attention à la nature de cette interdiction, écrivait Émile Benveniste, qui porte non sur le “dire quelque chose”, qui serait une opinion, mais sur le “prononcer un nom” qui est pure articulation vocale. C’est proprement le tabou linguistique : un certain mot ou nom ne doit pas passer par la bouche. Il est simplement retranché du registre de la langue, effacé de l’usage, il ne doit plus exister. » Ce type de mesures donne lieu à des procédés de contournement, remarquait aussitôt le linguiste : « La blasphémie suscite l’euphémie. » En disant « pardi » plutôt que « par Dieu », on « fait allusion à une profanation langagière sans l’accomplir » (Benveniste, 1974).

L’interdiction substantielle vise les propos désobligeants pour le sacré, sans faire dépendre la condamnation de l’apparition réelle ou probable de conséquences néfastes. L’article 17 du Code pénal finlandais permet notamment de punir celui qui « blasphème publiquement contre Dieu », sans autre précision. L’article 295C du Code pénal pakistanais prévoit que « quiconque, par des mots écrits ou parlés, ou par une représentation visible, ou par toute imputation ou insinuation, directement ou indirectement, souille le nom sacré du saint prophète Mohamed (que la Paix soit sur lui), sera puni de mort ou d’emprisonnement à perpétuité[...]

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La bête de l’Apocalypse - crédits : Princeton Theological Seminary Library/ Internet Archive Book Images/ Flickr : CC0

La bête de l’Apocalypse

<it>Jésus devant Caïphe</it>, Giotto - crédits : Cameraphoto/ AKG-images

Jésus devant Caïphe, Giotto

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