Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BLASPHÈME

L’application des lois contre le blasphème

De nombreuses juridictions ont insisté sur la nécessité de tenir compte du contexte dans lequel apparaît une expression d’apparence blasphématoire et de la forme qu’elle revêt. Cette question est de la plus haute importance à l’égard de la caricature, instrument traditionnel de la critique des croyances religieuses, qui a connu une actualité lourde et sanglante avec l’affaire des « caricatures de Mahomet ». La meilleure exposition de la méthode à suivre pour interpréter une caricature ou plus largement une expression satirique se trouve peut-être dans un arrêt rendu en 1928 en Allemagne par le Reichsgericht, la plus haute juridiction sous la république de Weimar : « Le propre de la satire est qu’elle exagère, plus ou moins fortement, et donc qu’elle confère à la pensée qu’elle veut exprimer un contenu apparent qui dépasse celui qu’elle défend réellement, mais d’une manière telle que le lecteur comprend que c’est ce dernier contenu, plus modeste, qui est en vérité affirmé […] Il en découle qu’une représentation satirique ne doit pas être prise dans son sens littéral. Au contraire, elle doit d’abord être dévêtue de son habit avant que l’on puisse juger si ce qui est représenté ou exprimé dans cette forme correspond à une infraction pénale. »

L’interprétation de l’expression litigieuse, il faut le souligner, dépendra de son contexte de réception, et non de l’intention de son auteur. Parmi les caricatures danoises « de Mahomet », celle qui a été le plus décriée représentait le Prophète avec une bombe dans son turban. Il a été établi que, dans le contexte danois, ce dessin faisait assez évidemment référence à l’expression « avoir une orange dans son turban », qui signifie « être heureux ». « Cela voulait dire », explique l’auteur du dessin, le Danois Westergaard, que « c’est bien d’avoir une orange dans son turban, mal d’y avoir une bombe » (Deligne, 2008). Mais un juge ne saurait considérer que cette allusion était raisonnablement susceptible d’être comprise dans un autre pays.

Saisi de ces caricatures à l’occasion d’une poursuite intentée contre Charlie Hebdo, le tribunal de grande instance de Paris considéra ainsi en 2007 que ce dessin laissait « clairement entendre que la violence terroriste serait inhérente à la religion musulmane », et qu’il assimilait les musulmans « sans distinction ni nuance, à des fidèles d’un enseignement de la terreur ». Insistant sur le contexte, le tribunal observait néanmoins que cette caricature était publiée au sein d’un numéro spécial consacré à la liberté d’expression, à l’affaire qui avait éclaté quelques mois plus tôt au Danemark. Aussi, elle participait « à la réflexion dans le cadre d’un débat d’idées sur les dérives de certains tenants d’un islam intégriste ayant donné lieu à des débordements violents ».

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Médias

La bête de l’Apocalypse - crédits : Princeton Theological Seminary Library/ Internet Archive Book Images/ Flickr : CC0

La bête de l’Apocalypse

<it>Jésus devant Caïphe</it>, Giotto - crédits : Cameraphoto/ AKG-images

Jésus devant Caïphe, Giotto

Monument au chevalier de La Barre - crédits : History and Art Collection/ Alamy/ Hemis

Monument au chevalier de La Barre

Autres références

  • CARICATURE

    • Écrit par
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    En septembre 2005, la publication par un quotidien danois d'un ensemble de caricatures du Prophète Mahomet provoque une violente réaction du monde musulman. En février 2006, au nom de la liberté d'expression, Charlie Hebdo prend alors l'initiative de publier à son tour ces caricatures....
  • CENSURE

    • Écrit par
    • 6 228 mots
    • 1 média
    ...contrôle tout ce que l'on veut, fût-ce immoral et dangereux pour les âmes ». C'est ainsi que L'Âge d'or (1930) de Luis Buñuel reste interdit en France jusqu'en 1981, et que son Viridiana (1961),jugé également blasphématoire, subira le même sort en Espagne, en Italie et en Suisse.
  • CHARLIE HEBDO

    • Écrit par
    • 995 mots
    • 4 médias

    Le journal Charlie Hebdo est né de l’interdiction de la publication de Hara-Kiri Hebdo en 1970.

    À la suite des événements de Mai-68, le monde du dessin de presse subit un changement radical. Le dessin d'humour était jusqu’à lors dominé par des publications familiales, à l'esprit conservateur,...

  • MUSULMAN DROIT

    • Écrit par
    • 4 398 mots
    • 2 médias
    ...important dans l'évolution des courants théologiques et juridiques musulmans. En effet, cette décision – condamner l'auteur des Versets sataniques pour blasphème – est révolutionnaire du point de vue du droit musulman. Elle étend la compétence des docteurs de la loi musulmane aux citoyens d'un État laïque,...
  • Afficher les 10 références