- 1. La disparition progressive de l’incrimination du blasphème en Occident
- 2. La typologie des lois contre le blasphème
- 3. L’application des lois contre le blasphème
- 4. Les lois contre le blasphème face à la liberté d’expression
- 5. La distinction entre blasphème et discours de haine
- 6. Légalité et « opportunité » du blasphème
- 7. Bibliographie
BLASPHÈME
L’application des lois contre le blasphème
De nombreuses juridictions ont insisté sur la nécessité de tenir compte du contexte dans lequel apparaît une expression d’apparence blasphématoire et de la forme qu’elle revêt. Cette question est de la plus haute importance à l’égard de la caricature, instrument traditionnel de la critique des croyances religieuses, qui a connu une actualité lourde et sanglante avec l’affaire des « caricatures de Mahomet ». La meilleure exposition de la méthode à suivre pour interpréter une caricature ou plus largement une expression satirique se trouve peut-être dans un arrêt rendu en 1928 en Allemagne par le Reichsgericht, la plus haute juridiction sous la république de Weimar : « Le propre de la satire est qu’elle exagère, plus ou moins fortement, et donc qu’elle confère à la pensée qu’elle veut exprimer un contenu apparent qui dépasse celui qu’elle défend réellement, mais d’une manière telle que le lecteur comprend que c’est ce dernier contenu, plus modeste, qui est en vérité affirmé […] Il en découle qu’une représentation satirique ne doit pas être prise dans son sens littéral. Au contraire, elle doit d’abord être dévêtue de son habit avant que l’on puisse juger si ce qui est représenté ou exprimé dans cette forme correspond à une infraction pénale. »
L’interprétation de l’expression litigieuse, il faut le souligner, dépendra de son contexte de réception, et non de l’intention de son auteur. Parmi les caricatures danoises « de Mahomet », celle qui a été le plus décriée représentait le Prophète avec une bombe dans son turban. Il a été établi que, dans le contexte danois, ce dessin faisait assez évidemment référence à l’expression « avoir une orange dans son turban », qui signifie « être heureux ». « Cela voulait dire », explique l’auteur du dessin, le Danois Westergaard, que « c’est bien d’avoir une orange dans son turban, mal d’y avoir une bombe » (Deligne, 2008). Mais un juge ne saurait considérer que cette allusion était raisonnablement susceptible d’être comprise dans un autre pays.
Saisi de ces caricatures à l’occasion d’une poursuite intentée contre Charlie Hebdo, le tribunal de grande instance de Paris considéra ainsi en 2007 que ce dessin laissait « clairement entendre que la violence terroriste serait inhérente à la religion musulmane », et qu’il assimilait les musulmans « sans distinction ni nuance, à des fidèles d’un enseignement de la terreur ». Insistant sur le contexte, le tribunal observait néanmoins que cette caricature était publiée au sein d’un numéro spécial consacré à la liberté d’expression, à l’affaire qui avait éclaté quelques mois plus tôt au Danemark. Aussi, elle participait « à la réflexion dans le cadre d’un débat d’idées sur les dérives de certains tenants d’un islam intégriste ayant donné lieu à des débordements violents ».
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Écrit par
- Thomas HOCHMANN : professeur de droit public, université Paris Nanterre
Classification
Médias
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CARICATURE
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En septembre 2005, la publication par un quotidien danois d'un ensemble de caricatures du Prophète Mahomet provoque une violente réaction du monde musulman. En février 2006, au nom de la liberté d'expression, Charlie Hebdo prend alors l'initiative de publier à son tour ces caricatures.... -
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...important dans l'évolution des courants théologiques et juridiques musulmans. En effet, cette décision – condamner l'auteur des Versets sataniques pour blasphème – est révolutionnaire du point de vue du droit musulman. Elle étend la compétence des docteurs de la loi musulmane aux citoyens d'un État laïque,... - Afficher les 10 références