- 1. La disparition progressive de l’incrimination du blasphème en Occident
- 2. La typologie des lois contre le blasphème
- 3. L’application des lois contre le blasphème
- 4. Les lois contre le blasphème face à la liberté d’expression
- 5. La distinction entre blasphème et discours de haine
- 6. Légalité et « opportunité » du blasphème
- 7. Bibliographie
BLASPHÈME
La distinction entre blasphème et discours de haine
La répression du blasphème ne doit pas être confondue avec celle du discours de haine, qui vise les propos hostiles à des personnes définies par certains critères tels que la nationalité, la couleur de la peau ou la religion. Si le droit français ignore le blasphème, il punit le discours de haine. La loi de 1881 sur la liberté de la presse permet ainsi de réprimer l’injure (article 33), la diffamation (article 32) et la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence (article 24), lorsqu’elles sont dirigées « contre une personne ou un groupe de personnes à raison » d’un certain nombre de critères, dont la religion. Au Royaume-Uni, une loi de 2006, précédant de deux ans l’abolition du délit de blasphème, incrimine l’incitation à la haine contre des personnes définies par leur religion. À l’exception des États-Unis, où la répression du discours de haine est exclue par le premier amendement à la Constitution, l’essentiel des systèmes juridiques interdit aujourd’hui ce type de propos.
Au contraire des propos blasphématoires, qui s’attaquent à des dogmes religieux, le discours de haine vise des personnes. La distinction ne porte pas sur les conséquences de l’expression : une caricature ou une critique virulente d’une croyance religieuse peut sans doute blesser profondément certaines personnes. Le critère pertinent concerne la signification de l’expression litigieuse ; il s’agit de savoir si elle concerne la religion ou ses fidèles. En France, la Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler dans les années 2000 à des tribunaux qui avaient fait une application erronée de ces dispositions à propos de deux affiches (De Lamy, 2007). La première représentait, sous le slogan « Sainte Capote, protège-nous », une nonne dont, disait le tribunal, « l’allure n’incitait pas particulièrement à l’abstinence ». L’autre, à visée publicitaire, représentait des mannequins dans la position des personnages de la Cène peinte par Leonard De Vinci. Dans les deux cas, les juges du fond crurent pouvoir faire application de la disposition qui réprime l’injure envers un groupe de personnes en raison de leur religion. Pour annuler ces décisions, la Cour de cassation rappela que l’injure est « une attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse ». Une expression qui touche à la religion et qui pour cette raison choque, même gravement, les croyants ne relève pas du discours de haine.
C’est sur ce fondement que Charlie Hebdo a été relaxé en 2007 et en 2008 dans l’affaire des « caricatures de Mahomet ». Interprétés dans le contexte de leur publication, ces dessins ne visaient nullement l’ensemble des musulmans, mais se moquaient d’un dogme et dénonçaient le détournement de la religion à des fins violentes par les extrémistes. La différence est flagrante avec les attaques du polémiste Éric Zemmour, dont la condamnation pour provocation à la haine fut confirmée en 2019 par la Cour de cassation au motif que ses propos « désignaient tous les musulmans se trouvant en France comme des envahisseurs et leur intimaient l’obligation de renoncer à leur religion ou de quitter le territoire de la République ».
Pour mettre en œuvre cette distinction, les juges ne doivent pas s’arrêter à la lettre de l’expression. « L’islam est un danger pour la France » pourra sans doute être interprété comme une incitation à la haine contre les musulmans. La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée en ce sens (« Norwood c. Royaume-Uni », 2004) à propos d’une affiche qui proclamait « Islam out of Britain » (« L’islam hors de la Grande-Bretagne »). La position des tribunaux hollandais est à cet égard étonnante. En 2009, la Cour suprême a jugé qu’une affiche qui appelait[...]
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Écrit par
- Thomas HOCHMANN : professeur de droit public, université Paris Nanterre
Classification
Médias
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