BLOCUS
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Comme toutes les institutions du droit de la guerre, le blocus a été profondément affecté par l'évolution des techniques de combat et la transformation des règles relatives au recours à la force. À l'origine, le blocus est une opération de guerre maritime par laquelle les forces navales d'un belligérant interceptent les communications avec une portion du littoral occupé par l'ennemi. Aujourd'hui, cette notion s'est étendue et dégradée. D'autres institutions, s'apparentant au blocus (embargo, quarantaine), mais plus souples et mieux adaptées aux conditions de la guerre moderne, se sont développées et tendent aujourd'hui à remplacer le blocus dans la gamme des instruments de coercition.
Dégradation de la notion classique
Pour saisir la dégradation de la notion classique de blocus, il faut analyser ses règles traditionnelles, puis en suivre le déclin.
L'institution dans le droit de la guerre traditionnelle
Jusqu'au xixe siècle, le blocus est une institution du droit de la guerre. Il implique donc l'existence de l'état de guerre entre la « puissance bloquante » et l'État bloqué. Il est soumis à des règles strictes, relatives à sa notification et à son effectivité.
La notification du blocus est une mesure de publicité destinée à porter à la connaissance des intéressés les intentions de la puissance bloquante. Il importe que les navires se dirigeant vers le littoral bloqué connaissent l'interdiction d'accès édictée par le belligérant. Le droit de la guerre impose donc une notification générale du blocus aux États tiers, par voie diplomatique. En outre, le commandant de la « force bloquante » est tenu de notifier sur les lieux, aux autorités locales, l'instauration du blocus. Faut-il, de surcroît, avertir les navires qui tenteraient de gagner la zone bloquée ? L'exigence d'une notification spéciale aux commandants des navires intéressés a fait l'objet d'une controverse à la fin du xixe siècle et au début du xxe ; la jurisprudence française considérait la notification spéciale comme une condition de validité du blocus, alors que les tribunaux britanniques, américains et japonais exigeaient seulement la connaissance de fait du blocus par le commandant du navire coupable de la violation du blocus. Depuis 1934, les instructions navales françaises ont abandonné l'exigence d'une notification spéciale.
En principe, le blocus ne doit pas s'étendre à tout le littoral ennemi ; d'ailleurs, la surveillance constituerait rapidement une charge insupportable. En général, le blocus s'applique à certains ports ou à une partie de la côte ennemie ; il peut être étendu aux ports et côtes de la « puissance bloquante » lorsque ceux-ci sont occupés par l'ennemi : ainsi, lors de la guerre de 1870-1871, la France bloqua les ports de Rouen, de Dieppe et de Fécamp, occupés par les troupes allemandes. Mais le blocus ne doit pas interférer avec les droits des puissances neutres. Les ports et côtes des États neutres ne peuvent évidemment être bloqués, non plus que l'embouchure de fleuves internationaux dont certains riverains seraient neutres et n'auraient pas consenti au blocus. Ainsi, lorsque les puissances alliées bloquèrent l'embouchure du Danube en 1856, la Bavière et le Wurtemberg élevèrent des protestations.
La règle de l'effectivité du blocus est énoncée dans la déclaration de Paris du 16 avril 1856 : « Les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs, c'est-à-dire maintenus par une force suffisante pour interdire réellement l'accès du littoral à l'ennemi. » La formulation par écrit de la règle coutumière s'explique par les abus antérieurs des blocus fictifs, blocus sur papier ou blocus de cabinet. Un simple ordre écrit déclarait bloqué le littoral ennemi, ce qui permettait, en l'absence d'escadre bloquante, de capturer en tout lieu tout navire soupçonné d'aller vers les lieux bloqués ou d'en venir. Le blocus fictif le plus célèbre fut le décret de Berlin du 21 novembre 1806 par lequel Napoléon établit le Blocus continental. L'abus de cette pratique rendit aléatoire le droit des neutres à commercer en temps de guerre.
Un moment, la doctrine exigea que les navires de guerre participant au blocus fussent mouillés à intervalles réguliers, selon une chaîne ininterrompue.
Mais, dès le xixe siècle, la formule fut assouplie. Pour être effectif, un blocus devait, suivant l'opinion du Dr Lushington dans l'affaire du Franciska (1855), rendre l'entrée ou la sortie des lieux bloqués dangereuses pour les navires qui tenteraient de violer le blocus et la capture des délinquants probable. L'application du critère conduisit à admettre la licéité du blocus par croisière. Il suffisait de faire croiser en permanence des navires près des côtes afin d'en interdire en fait l'accès.
L'abandon des lieux par l'escadre bloquante met fin au blocus, à moins que ce retrait ne soit que temporaire et motivé par les conditions météorologiques.
Enfin, le blocus doit être appliqué à tous les navires ennemis, mais aussi neutres ou alliés. Quelques permissions exceptionnelles (navires de guerre neutres, navires de commerce neutres en détresse, évacuation des ressortissants neutres des ports bloqués, permission de sortie pour les navires qui se trouvaient dans le port bloqué avant l'instauration du blocus) ne portent pas atteinte à la rigueur du principe.
Le régime juridique du blocus traditionnel, même assoupli par la jurisprudence du xixe siècle, se caractérise par une grande rigidité. Il favorise, en fin de compte, les droits des neutres, qui peuvent commercer librement avec les belligérants aussi longtemps que d'importantes forces ne sont pas affectées au blocus. Mais ces conditions rigoureuses étaient adaptées à un certain état de la technique. La disparition de la marine à voile devait, autant que le bouleversement de l'équilibre politique dans la guerre totale, provoquer le déclin du blocus traditionnel.
Le déclin du blocus
La notion de blocus doit sa dégradation à des causes d'ordre technique et d'ordre politique. Les causes techniques découlent directement des progrès de la science. L'avènement de la propulsion à vapeur et de la navigation sous-marine remet en question les règles du blocus. Maintenir une escadre au large d'un lieu bloqué, c'est décider sa perte. L'éloigner du littoral, c'est lui interdire le contrôle systématique des mouvements de navires. Devant ces exigences nouvelles, les règles du blocus ont dû être aménagées, mais au prix d'une atteinte à l'essence même de l'institution. En revanche, la participation d'aéronefs aux opérations de blocus n'a pas altéré gravement l'institution du blocus maritime. Les belligérants sont en droit d'utiliser des moyens aériens pour assurer la surveillance des côtes bloquées et la poursuite des délinquants. Mais l'extension du blocus à l'espace aérien n'est pas considérée par la jurisprudence comme une condition d'effectivité du blocus. Il est techniquement impossible d'assurer l'étanchéité d'un blocus aérien. L'approvisionnement par la voie des airs reste donc possible, ce qui atténue les effets du blocus. Un « pont aérien » assura les relations de Berlin-Ouest avec la R.F.A., de juin 1948 à mai 1949.
Ce sont surtout les progrès de la navigation maritime qui ont consacré la dégradation de la notion de blocus. La rapidité des navires de commerce modernes leur permet de forcer le blocus avec des chances raisonnables de succès alors que les techniques de la guerre sous-marine ou aérienne rendent périlleux le maintien en un lieu donné de l'escadre bloquante. Il faut donc pouvoir intercepter à une certaine distance des lieux bloqués le navire qui tente de violer le blocus. Dès le xixe siècle, les jurisprudences britannique et japonaise admettaient la capture d'un navire qui se dirige vers un port bloqué, alors que ses papiers de bord indiquent une autre destination. Bien plus, la théorie du voyage continu autorisait la capture d'un navire se dirigeant vers un port neutre, mais poursuivant son voyage jusqu'à un port bloqué. Pendant la guerre de Sécession, les tribunaux américains déclarèrent même « bonnes prises » des navires transportant des marchandises vers un port neutre parce que celles-ci devaient ensuite être acheminées par un autre navire vers un port bloqué (affaires du Springbok et du Peterhoff, 1866) ; peu importait que le commandant ignorât ou non la destination ultime de la marchandise. La doctrine, dans son ensemble, a condamné cette jurisprudence. Mais les impératifs de la guerre moderne ont rapidement submergé la controverse doctrinale.
Extension de la notion durant les deux guerres mondiales
Les quelques blocus classiques institués pendant la Première Guerre mondiale (Cameroun, Bulgarie, Asie Mineure) ne jouèrent aucun rôle dans le déroulement des opérations militaires. Les Empires centraux n'étaient pas en mesure d'assurer l'effectivité d'un blocus ; leurs navires de surface ne quittaient leur base que pour des raids occasionnels. Quant aux puissances alliées, elles se heurtèrent à un cordon de mines et de sous-marins qui rendaient inefficace l'établissement d'un blocus. Aussi, lorsque, en février 1915, l'Allemagne déclara zone de guerre les eaux adjacentes aux îles Britanniques, la Grande-Bretagne institua-t-elle en représailles un blocus à longue distance par un order in Council du 11 mars 1915 ; la mesure consistait à empêcher toute cargaison de parvenir à un port allemand ou de le quitter. Les puissances neutres, et notamment les États-Unis, critiquèrent l'attitude britannique : la zone bloquée était si vaste qu'elle correspondait en fait à un blocus des ports neutres.
Dans le même temps, les puissances alliées instituèrent un mécanisme de surveillance du commerce neutre par le système des navicerts : sous peine de voir leurs navires déroutés pour inspection ou privés de combustible, les armateurs neutres devaient soumettre le contenu de leurs cargaisons au contrôle des autorités alliées. Lorsque les États-Unis entrèrent en guerre, ces dispositions devinrent pleinement efficaces : l'étanchéité du blocus des puissances centrales était assurée, mais par des moyens qui ne devaient plus rien à l'institution classique du blocus.
Durant la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne adopta dès le 27 novembre 1939 des mesures semblables à celles qui avaient fait leurs preuves pendant le précédent conflit. La guerre totale ôtait toute signification aux règles traditionnelles du blocus. Pour atteindre l'ennemi dans ses forces vives, il fallait être assuré de le priver de tout approvisionnement. Le déclin du blocus, allant de pair avec l'altération de la notion de contrebande de guerre, était dicté par l'évolution technique.
Le blocus pacifique
La transformation des données politiques a eu pour effet l'apparition du blocus pacifique. Le terme pourrait prêter à confusion : en fait, cette institution n'est qu'une extension de la guerre au temps de paix, un recours mal dissimulé à la force.
Dès le xixe siècle, les puissances eurent recours au blocus pacifique, soit à titre de représailles, soit comme mesure d'intervention. Instrument de représailles, le blocus pacifique était soumis aux règles qui régissent ce domaine ; il devait avoir pour but de faire cesser une violation antérieure du droit international, être précédé d'une sommation infructueuse et rester proportionné à la gravité de l'offense. C'est ainsi que les escadres anglaise, allemande et italienne bloquèrent les côtes du Venezuela en 1902 pour contraindre cet État à respecter ses engagements financiers. Mesure d'intervention, le blocus pacifique était parfois instauré au nom des principes supérieurs d'humanité (blocus de la Grèce en 1827) ; ce recours à la force était beaucoup plus contesté lorsque les puissances bloquantes visaient un but ouvertement politique (blocus des côtes soviétiques par les puissances de l'Entente en 1919-1920, blocus de Fiume par l'Italie à la même époque).
Depuis 1945, la Charte des Nations unies interdit « de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies ». Or le blocus pacifique est une mesure de force. On ne peut donc l'instituer, à moins que la Charte n'autorise expressément le recours à la force, par exemple en cas de légitime défense ou de sanctions collectives. Une telle autorisation est notamment prévue par l'article 42 de la Charte : le Conseil de sécurité peut décider « des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres des membres des Nations unies ».
Le développement du blocus pacifique dans le cadre de la sécurité collective confirme l'atténuation de la distinction entre guerre et paix dans le monde moderne. Les conditions politiques de l'utilisation du blocus en transforment la nature. Mais, même dans ces circonstances, l'arme du blocus reste difficile à utiliser : trop rigide dans ses conditions, trop absolu dans ses effets, le blocus ne permet pas de doser avec précision la force nécessaire pour amener l'État fautif à résipiscence.
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Écrit par
- Jean-Pierre COT : professeur à l'université de Paris-I
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