DYLAN BOB (1941- )
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Tout a été écrit sur le chanteur-auteur-compositeur américain Bob Dylan. Les gloses, révélations, offrandes et palinodies se sont accumulées et contredites au point de le ranger au rayon des classiques de la pop music, des troubadours modernes, des héros de la contre-culture des années 1960 ou des junkies de l'underground. On peut voir en lui aussi bien le seul artiste génial de la musique populaire de la seconde moitié du xxe siècle, abscons et transparent, lumineux mais tragique, viscéralement attaché aux racines des musiques américaines, tout en les transcendant par une inspiration singulière. S'il n'a guère manifesté d'attirance pour le jazz, il a exploré en revanche tous les territoires du blues, du folk, de la country et du rock. En brouillant les pistes, il a produit un lyrisme de violente tendresse qui décourage les classements. Dylan n'est pas un penseur, pas davantage un théoricien. Ceux qui ont vu en lui un prophète se sont laissé abuser par les formules sympathiques de sa première période qui, pour sincères qu'elles aient été, n'en étaient pas moins simplistes. On l'approche davantage à travers son dandysme, qui explique autant l'ironie méprisante avec laquelle, au temps de sa gloire insolente, il répondait aux interviews, que sa silhouette de bohème élégante ou ses accoutrements improbables qui ont évolué avec le temps. On l'accepte définitivement en voyant en lui celui qui fit de la poésie dans la musique l'expérience même de la vie. Dans le fracas d'un monde qui s'effondrait et d'un autre qui ne parvenait pas à naître, ses images de visionnaire, ses mots et sa voix meurtris, ses mélodies ont su en de brefs à-coups donner un sens aux chagrins et aux révoltes d'une jeunesse incertaine.
My Back Pages
De son vrai nom Robert Allen Zimmerman, fils d'un commerçant juif, il naît à Duluth, dans le Minnesota, le 24 mai 1941. Dylan a beaucoup menti sur sa jeunesse de rebelle un peu rustre qui admirait James Dean, mais le premier volume de son autobiographie fragmentaire (Chroniques, 2004) fait la lumière sur cette période avec le talent d'un écrivain véritable. Violence, passion et poésie : le mélange est détonant dès son arrivée à New York en 1961. À l'instar de Pete Seeger, il y fréquente les poètes beat, ou encore Suze Rotolo, qui l’initie aux grandes œuvres littéraires ou picturales et qu'immortalise la célèbre couverture du deuxième 33-tours, The Freewheelin' Bob Dylan : on y voit le couple descendre une rue enneigée de Greenwich Village. Il voue un véritable culte au chanteur folk Woody Guthrie, à qui il restera toujours fidèle. Ses tout premiers enregistrements se font chez des amis, et on ne les retrouvera que plus tard sur des cassettes pirates. Les influences musicales s'y font évidemment sentir, mais tout est en place pour une carrière artistique hors du commun : les intonations vocales sont travaillées, étranges, et les techniques instrumentales (guitare acoustique, harmonica) très élaborées. Le premier disque Bob Dylan (1962, qui contient les titres Talkin' New York, Song To Woody) est enregistré en quelques jours. C'est dans les trois suivants, qui connaîtront un succès beaucoup plus grand, qu'on trouve les morceaux qui resteront ses classiques les plus fameux et marquent sa période contestataire : en 1963, The Freewheelin' Bob Dylan (Blowin' in The Wind, Girl of The North Country, Masters of War, A Hard Rain's A-GonnaFall, Don't ThinkTwice, It's All Right, Talkin' World War III Blues, I Shall Be Free...), en 1964, The Times They Are A-Changin' (The Times They Are A-Changin', Ballad of Hollis Brown, WithGodonourSide, North Country Blues, Boots of SpanishLeather, The LonesomeDeath of Hattie Carroll...) et AnotherSide of Bob Dylan (MotorpsychoNitemare, My Back Pages, Ballad in Plain D, I Don't Believe you, It Ain't Me Babe...). Le public, passionné ou agacé, se familiarise avec une polyphonie singulière qui ne choisit pas entre le chant et la parole, une énonciation à la limite parfois de l'incompréhensible où se mêlent l'ironie nasillarde, la colère impulsive, le lyrisme haletant, les attaques aigres de l’harmonica ou les accents rauques de la rage de vivre. Les protestsongs en faveur de la paix, de la dignité ou des droits civiques sont contemporains de sa liaison amoureuse avec Joan Baez, la grande prêtresse du genre.
Ces chansons contestataires sont d'ailleurs à l'origine de malentendus durables entre la critique, le public et le musicien. Au-delà de l'aversion pour la guerre et l'ordre moral des bien-pensants, Dylan n'a pas de conceptions politiques. Son inquiétude est ailleurs, dans les déchirements entre la haine de soi et les formes esthètes de l'égotisme, l'irrépressible mouvement vers l'amour fou et la conscience d'une définitive solitude, le goût pour des mots qui éclaireraient le monde et la lucidité amère que rien ne peut être dit à moins d'être Dieu. Plus ou moins liée selon les périodes à l'identité juive, se pose la question du Verbe et d'une expressivité qui, dans la musique, saurait le rejoindre. Le musicien interroge la condition de l'individu dans son solipsisme définitif, ballotté entre l'absurde et l'expérience d'une révélation, la tentation d'exister et la perte de soi dans les substances, l'alcool ou la mort. Le didactisme du propos n'a qu'une importance secondaire et se trouve vite balayé par l'essence du langage musical ou l'accomplissement spirituel de significations supérieures. Dylan n'a jamais été le chanteur des surboums réussies, et son goût immodéré pour l'argent empêcherait d'ailleurs de l'imaginer comme un critique radical du capitalisme. En revanche, son univers et sa beauté d'androgyne, le refus de l'expression ordinaire dans la subversion d'un langage adressé à l'autre ou peut-être à personne, ses tonalités aériennes et sombres ont composé de Robert Zimmerman « l'altitude », selon la belle formule d'Alain Souchon.
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
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