DYLAN BOB (1941- )
Ain't Talkin, Just Walkin
Le salut, c'est bien davantage Biographen 1985 : cinquante-trois titres qui reprennent l'itinéraire de Dylan depuis ses débuts. On s'émerveille à bon droit : à un moment où le chanteur accumule des disques de moindre intérêt, quelques-uns des morceaux de Oh Mercy en 1989 (What Good Am I ?, Man in The Long Black Coat...) ou de Good as I Been to You en 1992 (Black Jack Davey, Arthur McBride...) se révèlent nettement supérieurs à toute la production courante de la musique pop du moment. Les soixante chansons de The BootlegSeries (1991), représentatives de trente années de carrière, convainquent à nouveau qu'il existe bien un Dylan éternel. Plus tard, on parlera encore de renaissance à propos de World Gone Wrong (1994) ou de Time out of Mind (1997), dont les accents sont pris dans une tonalité d'outre-tombe. Comme si les seize minutes de Highlands étaient, trente-deux ans après, le contrepoint brisé d'un DesolationRow qui n'aurait plus vraiment la force de s'énoncer. Love and Theft (2001) ne fut pas un cru inoubliable. Mais la réédition, deux ans plus tard, de quinze albums « classiques » remastérisés, la résurrection du style d'autrefois dans Modern Times (2006) qui s'achève sur les noires visions de Ain'tTalkin', les mélodies country de Tempest (2012), dont le sommet est la longue ballade country éponyme qui relate l’histoire du Titanic, renforcèrent les « dylaniens » dans leur certitude d'avoir raison depuis toujours. Le chanteur sait même encore nous surprendre en reprenant des standards de Frank Sinatra, enregistrés soixante-dix ans auparavant, pour explorer sur Shadows in thenight(2015) d’autres sources de la musique populaire américaine.
En attribuant en 2016 à Bob Dylan le prix Nobel de littérature, l’Académie de Suède déclencha une vive polémique. À soixante-quinze ans, le chanteur-poète se trouvait consacré par la récompense la plus prestigieuse dans un domaine qui n’était a priori pas le sien. Pourtant, depuis toujours, Dylan mêlait les hobos aux prophètes de la Bible, William Faulkner au blues de Robert Johnson, James Joyce à Woodie Guthrie et Kurt Weil à Arthur Rimbaud. Les dylaniens exultèrent en voyant vengé un demi-siècle de confinement de l’artiste à la chanson populaire. Les tenants de l’institution littéraire en revanche crièrent au scandale, en arguant que Dylan n’était pas un écrivain. Il y avait donc erreur sur la personne et confusion des genres. En réalité, ce prix posait une nouvelle fois la question de la construction médiatique du génie, des fondements du goût littéraire et musical et des catégories de la légitimation. Le jeu brutal des distinctions entre la culture populaire et le savoir institué ennemi de la tradition orale, la confusion entretenue entre le fait littéraire et l’archivage des œuvres écrites, tout cela refit violemment surface.
Deux rhétoriques contradictoires se superposent quand il s'agit d'évoquer la carrière de Dylan. Le génie est condamné à rester génial, constamment. Or quel artiste pourrait sur cinq ou six décennies de carrière relever un tel défi ? C'est pourtant ce que la voracité de nos générations perdues a attendu de lui. Trahis par les simulacres et la mise en spectacle de tout, hébétés par les frustrations de la marchandise, nous avons attendu de l'artiste qu'il fasse toujours plus, et nous avons durement censuré ses passages à vide. Oubliant qu'au plus profond du poète se terre une irréductible fracture. Dans ce grand œuvre (plus de cinq cents textes de chansons), l'angoisse de la disparition alterne avec l'espoir déraisonnable d'une résurrection, le phénix se déchire entre l'amertume des fins de partie et le foreveryoung d'une pathétique utopie. Cette cyclothymie existentielle, la recherche erratique de soi et[...]
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
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