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KAUFMAN BOB (1925-1986)

Si quelqu'un a mérité l'épithète beat que Kerouac appliqua avec le succès que l'on sait à toute une génération, c'est bien Bob Kaufman, poète de San Francisco devenu involontairement et presque à son insu une figure légendaire du panorama littéraire de cette ville où il débarque en 1956, après avoir fait neuf fois le tour du monde dans la marine marchande. Bob Kaufman participe au « San Francisco Renaissance », moment d'effervescence et d'invention désormais historique. C'est alors qu'il côtoie les turbulents visiteurs new-yorkais (Allen Ginsberg, Jack Kerouac, Gregory Corso) et les bardes de la Baie anarcho-édénique, et devient un habitué de la Co-existence Bagel Shop et autres lieux d'improvisation verbale, qu'il fonde la revue Beatitude et lançe le très dadaïste « Manifeste abomuniste ».

Nullement assagi, mais amoindri par l'alcool, la drogue, les persécutions psychiatriques et policières auxquelles le prédisposaient sa négritude et son anticonformisme naturel – il aurait échappé de près à la lobotomie et subi trente-neuf arrestations dans la seule année 1959 –, Bob Kaufman continua de fréquenter, jusqu'à sa mort le 12 janvier 1986, le quartier bohème de North Beach. Clochard énigmatique au visage ravagé qui grommelait à la mer des paroles secrètes, il fit vœu de silence après l'assassinat de John Kennedy, et l'on dit qu'il ne recommença à parler et écrire qu'à la fin de la guerre du Vietnam, pour s'interrompre définitivement en 1978. Poète oral, indifférent au succès, mieux connu en Europe qu'en son pays, il aurait réalisé son ambition avouée d'être « complètement oublié » si quelques amis et sa femme Eileen n'avaient réussi à fixer sur la page quelques-uns de ses vers. Ferlinghetti repêcha pour City Lights sa Sardine dorée (1967), et New Directions imprima ses Solitudes (1965).

Habillé dès l'enfance d'un « costume nègre à rayures juives » (père juif allemand, mère négro-indienne), « Bomkauf », né en 1925 dans une famille nombreuse de La Nouvelle-Orléans, apprit très tôt les accents de la douleur qui nourrissent ses Poèmes de prison. Son arrière-grand-mère, ancienne esclave enfuie en Haïti, le berça de vaudou. Judaïsme et catholicisme parentaux, enrichis des enseignements du zen, confèrent à son œuvre un profond mysticisme où se révèle l'obsession inquiète de l'atemporel : « Il n'est nuit qui commença ou finit. » Tourment et humour bataillent et s'équilibrent chez ce poète « cincophrénique », soucieux d'écarter ses différents moi pour accéder à l'âme. Sensible à l'extrême à la souffrance du monde, il offre ses yeux à qui voudra les porter, ces yeux qu'il « [a] mis au régime car [ses] larmes prenaient trop de poids », et dont la voyance hallucinée lui inspire des visions surréalistes sidérantes. Chantre du jazz, cette « beauté plantée dans des oreilles avides », dont ses vers se rapprochent par leur phrasé haché, leur pulsation, et un verbe riche en adjectifs où les mots s'agglomèrent comme les notes d'un chorus, Bob Kaufman s'attarde près de Mingus autour de minuit et raccompagne Parker dans l'aube bleue. Il est d'autres figures récurrentes dans son panthéon personnel : Lorca, Chaplin, Picasso à son balcon, Camus, Miro, Hart Crane, son fils Parker, avec lesquels il poursuit un monologue passionné. Le moindre de ses interlocuteurs n'étant pas l'Amérique, à qui il reproche son soleil insolent pour lui annoncer dans sa dernière œuvre une pluie antique, salvatrice et apocalyptique.

— Yves LE PELLEC

Bibliographie

B. Kaufman, Solitudes Crowded with Loneliness, New Directions, New York, 1965 (trad. M. Beach et C. Pélieu, Solitudes, L'Inédit 10/18, Paris, 1966) ; Golden Sardine[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences, section d'anglais, université de Toulouse-Le-Mirail

Classification

Autres références

  • BEAT GENERATION

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    • 2 982 mots
    • 2 médias
    ...de Breton ou du Nightwood de Djuna Barnes. Philip Whalen (1923-2002) est né à Portland, dans l'Oregon : guetteur d'incendie, poète zen. Bob Kaufman (1925-1986) est né à La Nouvelle-Orléans : à treize ans, il est mousse dans la marine marchande et fait, en quinze ans, neuf fois le tour du...