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BOCAGE MANUEL MARIA BARBOSA DU (1765-1805)

Le néo-classique

Bocage est d'abord un néo-classique. Il vint après l'Arcadie lusitanienne (1756-1774) et, sans elle, il n'aurait pas été ce qu'il fut. Comme les Arcadiens, il adopta un surnom poétique, et il le borna à deux éléments (en littérature du moins, on avait voulu réduire la longueur ibérique des noms de famille, et mettre tous les poètes sur un pied d'égalité). Le premier élément était une anagramme du prénom (Elmano pour Manuel), le second, un adjectif indiquant le lieu de naissance (Sadino, car Setúbal est baigné par le Sado). Suivant l'exemple des Arcadiens, Elmano Sadino dédia ses vers au roi, à la reine, au régent, aux ministres, aux notables les plus influents ; il composa des poèmes de circonstance, fêtant la naissance ou pleurant la mort d'illustres personnages ; il chanta ces fêtes religieuses que les poètes portugais devaient célébrer s'ils voulaient être bien vus. Conventionnel dans l'inspiration, il le fut également dans les genres qu'il cultiva : sonnets, odes, idylles, chansons (sur le modèle des canzoni italiennes). On dirait même que le néo-classicisme, avec ses fictions pastorales, empêcha Bocage de voir les pays exotiques qu'il parcourut. Ni les mœurs indiennes ni les paysages chinois ne l'intéressèrent. Il a bien dû s'éprendre de quelque Chinoise et de quelque Indienne, lui qui avoue avoir aimé mille femmes, et être incapable de demeurer sans passion. Mais il leur a donné les mêmes noms pastoraux qu'aux Portugaises, leur a parlé, abstraitement, du feu qu'elles faisaient naître en son cœur, et de la jalousie qu'elles inspiraient aux Muses et aux Grâces. Heureusement, Bocage n'emprunte pas seulement à l'Arcadie les formes, la mythologie et l'allégorie, les bergers et leurs bergères. Il lui doit aussi la clarté de la langue, la cohésion logique du discours, la vivacité de l'expression, une éloquence efficace et touchante, que l'on chercherait en vain dans la poésie baroque de son pays. « En vérité, écrit W.  Beckford, on peut dire que ce personnage étrange et changeant possède la véritable baguette magique qui, au gré de son maître, anime ou pétrifie. »

On peut donner raison à Beckford : sous la forme rigide de ses sonnets, de ses octaves, de ses élégies et de ses épîtres, éclate la véhémence toute personnelle de Bocage. C'est qu'il était un homme à l'esprit prompt, aux sentiments fugaces et excessifs : enthousiaste et désespéré ; orgueilleux et envieux ; susceptible et coléreux. Il aimait avec fureur, était jaloux avec rage. Avant de scandaliser, il brilla dans les salons, grâce surtout à ses dons extraordinaires d'improvisateur. Il adorait le public et les applaudissements. À Lisbonne, un jeu était alors à la mode, qui consistait à proposer des thèmes (motes) aux poètes, afin de mettre à l'épreuve leur virtuosité. En général, le mote consistait en deux vers ou en un quatrain. Le poète répondait par un impromptu où devaient apparaître, en positions symétriques, tous les vers du thème. Bocage y triomphait sans peine, mais ne s'en contentait pas. Comme il avait une prodigieuse verve comique, il réussissait à merveille les poèmes courts, où il tournait en ridicule ses rivaux et ses ennemis. Il couvrait de sarcasmes écrivains et médecins, auteurs et acteurs, gens d'Église et gens du peuple. Et il finit par se moquer de lui-même, brossant son autoportrait, décrivant sa vie d'expédients, ou même rédigeant d'avance, avec un détachement qui lui fera défaut le moment venu, ses dernières volontés et son épitaphe burlesque. En vérité, la peur de la mort et le désir de s'assurer cette sorte d'immortalité précaire que peut donner la gloire poétique transparaissent tout au long de son œuvre. S'il achève une improvisation dont il est satisfait, il y ajoute une sorte de refrain qui devient[...]

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