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BOCAGE MANUEL MARIA BARBOSA DU (1765-1805)

Le libertin

Superstition occasionnelle, prudence après avoir échappé à l'Inquisition, contrition in articulo mortis ne font pas oublier, chez Bocage, le libertin. Héritier du néo-classicisme, il l'est aussi de la philosophie des Lumières. Les vers, dédiés par lui au capitaine Lunardi, qui, en 1794, réalise dans le ciel de Lisbonne une ascension en ballon, constituent un exemple notoire de poésie tournée vers la science et le progrès. Cependant le ressort le plus puissant de la « philosophie » de Bocage relève des sens : il a soif de plaisir et veut se justifier. Le plaisir est bon ; il est conforme à la Nature ; aucun Dieu, s'il y en avait un, ne saurait le condamner. Dieu ne pourrait être que l'ami des hommes. C'est l'imposture et le fanatisme qui en font un juge implacable.

L'une de ses satires les plus connues commence par les mots Pavorosa ilusão da Eternidade (Éternité, mensonge qui nous fait trembler). Le premier mot du poème servit à la désigner : a Pavorosa, « la Redoutable ». Le poète, en tout cas, n'avait pas tort de trembler : de tous les péchés de Bocage, « la Redoutable » fut peut-être celui sur lequel les inquisiteurs s'attardèrent le plus. Les poèmes révolutionnaires, libertins ou obscènes, devinrent de plus en plus rares dans les dernières années de Bocage. Les âmes pieuses ont soutenu que l'Inquisition, très modérée, avait enfin guéri ce grand malade. Le remède fut trop radical : relâché, Bocage ne fit plus guère que des traductions. Le Saint-Office l'avait aussi guéri de la poésie.

Tous les témoignages concordent : Bocage a été un improvisateur de génie et un diseur merveilleux. Souvent grand poète, il fut toujours un versificateur impeccable. Il a scandé mieux que quiconque le décasyllabe. L'un des premiers, au Portugal, il écrivit des fables et adopta l'alexandrin à la française. Il avait l'art d'approprier les rimes à ses sujets, et personne ne sut exploiter comme lui les rimes grotesques et comiques. Il est l'un des rares poètes de son pays à avoir conquis une audience populaire, et même le seul autour duquel se soit créée, et maintenue, une légende, celle d'un héros picaresque et sans vergogne, d'un protagoniste triomphant de mille histoires burlesques. Cette réputation, qui pourrait paraître exagérée, par rapport à ce que nous connaissons de l'œuvre « maudite » de Bocage, n'est toutefois pas sans fondement : la plupart de ses poèmes comiques et obscènes ne pouvaient circuler qu'en copies manuscrites, et Bocage, repenti, a dû détruire celles qu'il possédait et inviter ses amis à en faire autant. Le dernier vers qu'il eût dicté exprime clairement ce désir : Rasga os meus versos, crê na Eternidade, « Déchirez mes poèmes, croyez en ce qui est éternel ». Ce qui reste de son œuvre, y compris les poèmes interdits, suffit cependant à révéler son mérite.

— António COIMBRA MARTINS

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