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BODY ART

Humains ou posthumains

Politique, théorique, ludique, sexuel, parfois conceptuel , le corps des années 1960 et 1970 évoquait l'utopie du changement, la résistance à toutes formes d'oppression, le mystère de la pensée qui émet des signes. Depuis quelques années, les œuvres d'une nouvelle génération élaborent des dispositifs qui nous conduisent à interroger son apparence, à douter de sa réalité. Les prothèses, les prolongements corporels, les membres « cyber » nous parlent d'un corps contrarié apportant un écho aux thèses du virtuel et au clonage. Lorsque l'Australien Stelarc se suspend, au-dessus d'une rue animée, par des crochets qui pénètrent sa chair afin de traiter du « cosmique et du surhumain », ou lorsqu'il projette sur écran, en temps réel, des sons et des images captées par un robot au plus profond de son organisme, il ne désigne plus son corps comme sujet, mais comme un objet d'analyse donnant des informations sur les battements cardiaques, ou sur les rythmes du cerveau. Orlan, qui travailla, depuis le milieu des années 1970, sur des thématiques abordant conjointement le corps féminin et l'image de l'artiste à travers l'iconographie religieuse baroque (série des Sainte Orlan), a choisi d'approfondir l'identité du corps à partir d'un idéal esthétique prédéterminé. À partir de 1990, elle a programmé une suite d'opérations-performances, soigneusement mises en scène, et enregistrées par vidéo. La neuvième du cycle a abouti à la transformation de son visage par des implants, dans le but de remettre en cause les normes de la beauté. Le rituel de l'intervention chirurgicale a été retransmis en direct par satellite dans sa galerie new-yorkaise et dans différents lieux institutionnels. Pour cette défiguration et refiguration, l'artiste a choisi l'expression d'« art charnel », propre à affaiblir les limites culturelles qui séparent le corps de l'esprit.

Les corps corrigés de Matthew Barney utilisent aussi bien les parures, les maquillages propres au cinéma fantastique que des accessoires donnant à ses performances comme à ses mises en scène cinématographiques l'ambiance d'une fable ou d'une épopée mythologique. Ses faunes travaillés par la musculation, ses personnages mi-animaux, mi-humains inaugurent une réflexion surprenante sur le corps comme outil de mascarade, en dehors de toute normalité. À l'époque des intelligences artificielles, des banques d'organes, il semble que s'ouvre la voie des corps cybernétiques. C'est ce que nous disent également, sur un mode poétique, les corps corrigés par des accessoires de Jana Sterbak, ou les scénographies pour des femmes dénudées qui sont installées par Vanessa Beecroft dans l'espace comme des objets. Dans un proche avenir, il n'est pas impossible que certains représentants du body art finissent par souscrire à cette réflexion de Stelarc : « Le corps est passablement obsolète. »

— Anne TRONCHE

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Média

Yoko Ono : scène de la performance «Sky Piece» - crédits : Truman Moore/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Yoko Ono : scène de la performance «Sky Piece»

Autres références

  • ABRAMOVIC MARINA (1946- )

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    Marina Abramovic née à Belgrade (Serbie) s'est imposée depuis les années 1970 comme l'une des références du body art aux côtés des américains Vito Acconci et Chris Burden. Ses performances parfois extrêmes, documentées par des photographies en noir et blanc commentées, sont restées...

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