BOHÈMES (exposition)
L'exposition Bohèmes, qui a marqué le calendrier culturel au Grand Palais à Paris du 26 septembre 2012 au 14 janvier 2013, explorait les origines et le développement d'un mythe moderne. La bohème artistique, née entre romantisme et réalisme, correspond en effet à une représentation nouvelle de l'artiste par lui-même au xixe siècle, et de ce fait à un changement de son statut. En 1834, le journaliste Félix Pyat, résume assez bien le phénomène : « La manie ordinaire des jeunes artistes de vouloir vivre hors de leur temps, avec d'autres idées et d'autres mœurs, les isole du monde, les rend étrangers et bizarres, les met hors la loi, au ban de la société ; ils sont les Bohémiens d'aujourd'hui. »
Le mystère des origines
Tout est dit... Encore fallait-il le montrer, ce à quoi s'est attaché Sylvain Amic, directeur des musées de Rouen, à travers plus de deux cents œuvres réparties en quinze grands thèmes, la place occupée par les Bohémiens dans l'art occidental depuis la fin du xve siècle, où ils semblent faire leur apparition. Le mystère qui entoura longtemps leur origine (d'où leurs noms successifs, et selon les pays qu'ils traversent, d'Égyptiens – en anglais Gipsies –, Cigains, Zigeuner, Zingari, Tsiganes, Bohémiens, Gitans ou Manouches, qui, tous, désignent ce qu'on appelle aujourd'hui la nation rom) et leur vie errante, pauvre mais libre et proche de la nature, vont alimenter de nouvelles postures artistiques.
De Léonard de Vinci au maniérisme et au caravagisme, la représentation, à la fois réaliste et fantasmée des Bohémiens oscille entre angélisme et diabolisme, sensualité et gravité. La Vierge Marie apparaît parfois en petite bohémienne avec sa grande coiffure caractéristique, et sous le sobriquet de Zingarella, par assimilation probablement avec l'épisode de la Fuite en Égypte narré dans l'Évangile de Matthieu. Les gravures de Callot au début du xviie siècle, qui devaient inspirer à Baudelaire les « Bohémiens en voyage » des Fleurs du mal, n'ont pas peu contribué à installer l'étrangeté de ces errants dans l'imaginaire collectif, comme La Gitanilla de Cervantès le fit pour le charme envoûtant de la belle bohémienne.
Le thème de la Diseuse de bonne aventure (vers 1625) est chez Georges de La Tour associé à la parabole du fils prodigue. L'Égyptienne qui dérobe en même temps qu'elle prédit l'avenir invite à une réflexion morale sur le danger qu'il y a à vouloir connaître son destin. Ce que l'exposition gommait toutefois à ce stade, faute d'une scène de taverne à la Valentin de Boulogne, par exemple, c'est le côté déjà « bohème » de la vie des jeunes suiveurs de Caravage dans la Rome du début du xviie siècle. Elle le sera aussi à Paris sous la Révolution, alors que la disparition des institutions et des rites qui encadraient jusque-là la vie artistique, ainsi que l'exil de leurs grands commanditaires, livrent les artistes à eux-mêmes. Deux antécédents qui auraient mérité d'être évoqués. La bohème artistique existe probablement en effet avant même qu'elle ne soit formulée comme un mode de vie à part et érigée en mythe.
Cette première partie de l'exposition, dans une scénographie dépouillée, faisait le tour de la représentation des Bohémiens dans la littérature, la scène et les beaux-arts jusqu'au xixe siècle : marginalisation au contact de la nature dans les campements des bamboccianti du xviie siècle ; renouveau galant et rousseauiste de l'image de la bohémienne dans le théâtre du xviiie siècle ; approche plus ethnographique au milieu du xixe siècle, dont Mérimée s'écarte avec Carmen, en 1845, pour souligner le modèle de transgression qu'offre la société gitane ; découverte enfin d'un double en sauvagerie et en vagabondage[...]
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Écrit par
- Robert FOHR : historien de l'art
Classification
Média