BOLCHEVISME
Organisation du parti
Le bolchevisme prit corps dans ces débats, et l'on peut situer la date de sa naissance au moment de la parution de la fameuse brochure polémique de Lénine Que faire ? (1902), qui reste un document clé pour la compréhension de son histoire avant et même après la révolution d'octobre 1917. Ce livre eut un retentissement considérable dans les milieux révolutionnaires de l'époque ; selon un contemporain – Charles Rappoport – « le Que faire ? n'était pas à proprement parler un livre, mais une exécution capitale – et magistrale – du réformisme socialiste en la personne de Bernstein, et du réformisme syndicaliste prêché en Russie par Boris Kritchevsky ». Ce pamphlet n'était pas seulement l'exposé systématique des vues de Lénine en matière d'organisation, et la définition de sa tactique ; il contenait déjà les germes de la stratégie de l'avant-garde révolutionnaire qui forme, dans une certaine mesure, la quintessence du bolchevisme. À la différence de ses aînés, tel Plekhanov, Lénine ne s'affirme pas comme un exégète du marxisme, mais comme un théoricien de la révolution. Sa théorie, qui va se modeler dans les vicissitudes de la lutte, apparaît dès 1902 à la fois comme une innovation et comme un retour aux sources, celles du marxisme de 1848 qui avait à affronter à l'époque des objectifs similaires mais non identiques.
La pointe polémique de Que faire ? était dirigée contre un courant puissant dans le mouvement socialiste russe, auquel Lénine donna, pour l'histoire, le nom d'« économisme ». Inspirés par une volonté de réalisme, et aussi par la révision du marxisme qu'Édouard Bernstein avait entreprise à l'époque dans le puissant parti allemand, les « économistes » défendaient l'idée qu'en Russie, où les forces ouvrières étaient bien faibles et la révolution fort problématique, la social-démocratie, au lieu de gaspiller en vain son énergie et de se sacrifier pour une illusion, devait se situer sur le terrain des réalités, c'est-à-dire axer la lutte sur le plan économique, celui des revendications ouvrières immédiates. La social-démocratie devait se fier à la spontanéité des masses pour acquérir une audience réelle et sortir de son isolement. Par là se trouvait posé le problème dont la complémentarité avec le précédent est évidente : le rapport entre la lutte économique et politique, entre la spontanéité des masses et le rôle d'avant-garde du parti conscient et directeur. Dans sa réplique, Lénine formula de manière délibérément exagérée, comme il le fit ultérieurement remarquer, à la fois les prémisses théoriques et les modalités pratiques du bolchevisme. Il se livra à une critique de la doctrine de l'action spontanée des masses, et par là il marqua une rupture avec le fatalisme mécaniste. La classe ouvrière n'est pas spontanément socialiste ni révolutionnaire. La conscience de classe du prolétariat n'est pas un produit mécanique de sa situation de classe, elle doit être apportée du dehors. C'est le rôle du parti qui, matérialisant l'unification du mouvement ouvrier et du socialisme scientifique, constitue l'instrument seul capable d'exprimer consciemment le processus inconscient de l'histoire.
Sans l'intervention d'une avant-garde révolutionnaire consciente et active, la spontanéité des masses risquerait fort d'orienter le processus historique vers une contestation limitée, vers des réformes sociales qui impliqueraient le renoncement à toute perspective révolutionnaire.
Mais de quel parti s'agit-il ? C'est ici que sa réponse débordait largement le concept marxiste classique que les mencheviks, partisans d'un parti « ouvert », inspiré du modèle européen, faisaient leur. Le type de parti préconisé par Lénine est celui d'une avant-garde,[...]
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Écrit par
- Georges HAUPT : sous-directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Médias
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