BOLCHEVISME
Le bolchevisme au pouvoir
La révolution de 1917 marqua le grand tournant de l'histoire du bolchevisme. Et d'abord, elle le fit connaître, aussi bien en Russie que dans le monde entier. Pour les masses populaires russes soulevées, le mot de bolchevisme « prend la valeur d'un drapeau, d'un emblème [...]. Au mot de « bolchevisme » on associe une notion de force, au mot de « menchevisme » une notion de faiblesse » (Berdiaev).
Le parti en fut d'ailleurs conscient : abandonnant l'appellation social-démocrate, devenue synonyme de « non révolutionnaire », il prend le nom de communiste, à l'instar de Marx et d'Engels en 1848, le mot de bolchevik étant ajouté comme dénomination officielle. Sur le plan international, ce mot inconnu prend très vite un sens symbolique. Dans une Europe qui se cherche, qui est, après quatre ans de guerre, en pleine fermentation, le bolchevisme apparaît comme une force capable de régénérer la société malade : la hardiesse du langage et le style de l'action révolutionnaire de Lénine séduisent. Selon les termes de Rosa Luxemburg, pourtant critique envers Lénine et sa pratique, en 1918, « le bolchevisme est devenu synonyme du socialisme révolutionnaire pratique ».
Lénine ne revendiquait pas une vocation internationale pour le bolchevisme, et le léninisme n'apparaît du reste pas comme une doctrine toute faite pour la révolution mondiale. Résolument internationaliste et foncièrement révolutionnaire, Lénine s'emploie à faire triompher le plus vite possible la révolution prolétarienne, tout au moins dans quelques-uns des principaux pays européens. Cela semble aux bolcheviks une nécessité vitale et une condition sine qua non de la réussite de leur entreprise. L'Internationale communiste (la IIIe Internationale) est créée en mars 1919 en vue de réaliser cet objectif. Elle tente d'élaborer un concept révolutionnaire dans ses modalités concrètes, unissant la révolution prolétarienne et la lutte de libération des peuples coloniaux dans un unique projet, qui déboucherait sur une stratégie commune. Cette stratégie allait conserver une ambiguïté due au fait qu'elle était le résultat d'une théorie et d'une praxis qui tenaient peu compte des réalités de l'Occident et de l'Orient.
Mais c'est dans la modification de la fonction et de la structure du bolchevisme après la prise du pouvoir que s'opéra le tournant décisif. Il ne s'agissait plus de conquérir le pouvoir, mais de faire fonctionner la dictature du prolétariat comme méthode de gouvernement de la révolution victorieuse, et dans des conditions d'isolement qui semblaient cependant temporaires.
En août 1917, Lénine s'attaque, dans L'État et la Révolution, à un problème auquel il accordait une importance toute particulière « du point de vue théorique comme du point de vue de la politique pratique pour la révolution prolétarienne ». Dans le sillage de Marx, il met l'accent sur la nécessité de jeter bas l'appareil oppressif de l'État bourgeois. Par quoi devait-on le remplacer après la victoire de la révolution prolétarienne ? Lénine se fonde sur l'expérience de la Commune de Paris qu'il étudie dans une optique très systématisée. En Russie, cette fonction devra être remplie par les soviets (conseils des députés des soldats, des ouvriers et des paysans), création spontanée des masses, lors de la révolution de 1905, qui resurgit en 1917 et possède une solide implantation dans le peuple. Mais le problème de l'exercice du pouvoir posait, au lendemain de la victoire des bolcheviks, une question dont les implications à long terme se révéleront de la plus grande portée : gouvernement de coalition formé des représentants de tous les partis socialistes, ou gouvernement monolithique des seuls bolcheviks victorieux ? Ce conflit de dimension historique[...]
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Écrit par
- Georges HAUPT : sous-directeur d'études à l'École pratique des hautes études
Classification
Médias
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