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BONHEUR (notions de base)

Le plaisir et la joie

Le bonheur n’est pas le plaisir, et c’est pourquoi il est si difficile à atteindre. Le plaisir est inséparable de la crainte de sa perte. Il voudrait ne pas cesser, il rêve naïvement de s’éterniser, oubliant qu’il ne saurait exister que dans son opposition à la douleur, ainsi que l’avait compris le premier Épicure (341-270 av. J.-C.). « Le plaisir est l’arrêt de la douleur », affirmait le philosophe dans sa Lettre à Ménécée (296-295 av. J.-C.). Mais, en visant en apparence un but modeste, atteindre l’« ataraxie », autrement dit la paix de l’âme qui nous est offerte quand nous apprenons à éradiquer nos peurs et à fuir les plaisirs vains, Épicure propose en fait un idéal inaccessible : plaisirs et douleurs alternent inévitablement dans toute existence, et imaginer une vie exempte de douleur n’est qu’un pur fantasme.

Il appartiendra à Arthur Schopenhauer (1788-1860) de mettre à bas, au xixe siècle, l’édifice épicurien. Comme tous les vivants, l’homme est un être de désir, désir dont seule la mort peut faire taire en nous la voix. En échouant dans nos objectifs, nous souffrons. Et quand nous atteignons notre but, nous nous ennuyons rapidement, car c’est sans doute la quête qui nous excitait bien plus que la possession. Nos vies balancent ainsi de la souffrance à l’ennui, oscillant « comme un pendule, de droite à gauche », pour reprendre la belle image duMonde comme volonté et comme représentation (1819).

Tout autre est la joie, à condition d’accorder son sens plein à cette notion si souvent galvaudée. Lorsque nous sommes actifs, autrement dit lorsque nous avançons dans une direction correspondant à notre véritable nature, nous éprouvons un sentiment puissant et qui ne saurait être trompeur : la joie. Nul n’a mieux défini la joie que Baruch Spinoza (1632-1677). Le philosophe Robert Misrahi, en commentant les plus beaux textes de Spinoza, l’affirme très clairement : « La joie n’est pas un événement passif qui nous enfermerait dans l’instant présent, mais un acte dynamique de la conscience qui peut transposer le présent sur le passé et le prolonger vers l’avenir. »

La joie suppose que nous nous sentions en harmonie avec une nature qui a permis notre apparition. Vouloir que le monde ait été autre qu’il n’a été est tout simplement suicidaire : c’est préférer un monde dans lequel je n’existe pas au monde qui a permis ma naissance. Je dois aimer l’immense chaîne causale dont je suis à la fois un maillon infinitésimal, et une pièce nécessaire, puisque, pour que je ne sois pas, il eût fallu que le monde tout entier fût autre qu’il n’a été.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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