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BONHEUR (notions de base)

Bonheur et fuite du temps

Conscience d’être situé à mi-chemin de l’animalité et de la divinité, conscience de la mort dont l’homme ressent qu’elle est à la fois un privilège qui le situe au-dessus des bêtes et la source de son malheur, tout nous ramène, quand il s’agit du bonheur, à la question de la fuite du temps.

Situer le bonheur dans la chaîne du temps semble le principal défi qu’ont dû relever les philosophes. En dépit des arguments répétés par certains d’entre eux, le bonheur n’est ni utopique ni énigmatique. Comme nous l’avons laissé entendre, sans lui nous ne saurions identifier le malheur, et encore moins dénoncer son caractère inacceptable. Mais les difficultés commencent dès qu’il s’agit d’articuler la durée qu’exige le bonheur et la condition temporelle de l’être humain. Devant les paradoxes qui surgissent alors, la tentation est grande d’imaginer des divinités qui précipitent dans l’irréalité nos existences de mortels. Très rares sont les penseurs qui ont su échapper à ce travers, et qui ont su nous ouvrir, au cœur du temps, les portes de la joie.

Nietzsche appartient, en compagnie de Spinoza, à cette famille fort peu nombreuse. L’auteur d’Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885) fait une immense découverte : derrière nos vengeances, nos ressentiments, nos jugements, se cache une unique condamnation, la condamnation d’une réalité (individuelle et collective) qui n’a pas été ce que nous aurions aimé qu’elle soit. Cette condamnation de la réalité est la source des croyances et des idéologies : aussi bien des croyances religieuses, qui imaginent qu’un autre monde rachètera celui-ci, que des idéologies modernes qui imaginent qu’un avenir radieux rachètera les erreurs de l’histoire. C’est ainsi que la conscience, qui est le plus merveilleux cadeau que nous a fait la nature, est devenue la source de notre malheur. Croyances religieuses et idéologies empoisonnent le monde.

Nietzsche qualifie de « rédemption » la réconciliation avec la réalité et, pour que cette réconciliation fonctionne, il faut apprendre non seulement à « supporter » le réel (attitude stoïcienne), mais à vouloir ce qui a été et ce qui est. S’il faisait toujours jour, l’idée même de jour disparaîtrait. Sans la mort, l’idée même de vie s’évanouirait. Sans la souffrance, aucune conscience du plaisir ne pourrait exister. Se réconcilier avec le monde, c’est apprendre à l’aimer dans ses contrastes et dans ses dualités, c’est jouir de l’expérience que nous apporte chaque moment de notre vie, heureux ou malheureux.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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