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BORDEAUX, LE TEMPS DE L'HISTOIRE, ARCHITECTURE ET URBANISME AU XIXe SIÈCLE 1800- 1914 (R. Coustet et M. Saboya)

Engagée dans les années 1970, la réhabilitation de l'architecture du xixe siècle n'est plus à faire, ni auprès des historiens de l'art ni auprès des responsables du patrimoine, même si un public plus large n'a pas toujours suivi.

Longtemps, cette architecture a été regardée à l'aune d'une idée courte de la modernité. Notre génération a redécouvert l'intérêt de l'architecture néo-gothique ; elle a mis en évidence l'importance de la redéfinition des matériaux traditionnels (brique industrielle, poteries décoratives) et de la réflexion sur les programmes (prisons, hôpitaux, écoles, villas balnéaires, etc.), et non uniquement celle des nouveaux matériaux et des édifices du siècle de l'industrie (fer, verre et béton ; passages, gares et grands magasins). La démarche éclectique du xixe siècle, longtemps vilipendée comme un art vulgaire du pastiche, a elle-même été réappréciée et relue comme une tentative pour élargir à l'ensemble du patrimoine les expériences d'hybridations et de variations que l'on avait conduites depuis la Renaissance autour du seul héritage gréco-romain.

Pour mesurer aujourd'hui avec amertume l'ampleur de la catastrophe urbaine liée au triomphe de l'idéologie moderniste pendant les Trente Glorieuses, de la Libération aux années 1970, nous pouvons goûter la qualité du paysage urbain construit au cours du xixe siècle, à Paris comme en province. Pour ses boulevards et ses passages, ses gares et ses grands magasins, le paysage parisien haussmannien a toujours été situé du côté de la modernité, de Charles Baudelaire composant ses « tableaux parisiens » à Walter Benjamin célébrant « Paris, capitale du xixe siècle ». Les villes de province, elles, n'ont longtemps été fières que de leur patrimoine plus ancien, mais, après Lille et Tourcoing, Toulouse ou Rennes, la riche monographie consacrée à Bordeaux par deux de ses meilleurs connaisseurs, Robert Coustet et Marc Saboya (Mollat, Bordeaux, 1999), vient illustrer le remarquable dynamisme du xixe siècle.

Faisant la synthèse de vingt ans d'études, s'appuyant sur des archives encore largement inédites, les auteurs montrent que l'image de Bordeaux ville du xviiie siècle masque l'empreinte plus décisive du siècle suivant, précisément parce que la culture éclectique de celui-ci s'est nourrie des réalisations du « grand siècle » de la ville marchande.

L'ouvrage se prête à deux lectures. Les Bordelais y trouveront bien sûr une réponse à leurs curiosités spécifiques, mais tout amateur d'histoire urbaine trouvera dans le cas de Bordeaux une des versions de l'histoire générique des villes de province françaises au xixe siècle, sur le fond de laquelle se détachent quelques singularités.

La première moitié du xixe siècle, à laquelle est consacrée la première partie du livre, montre, comme à Paris, Tours ou Blois, Rennes ou Troyes, l'importance de la transformation des enclos religieux, nationalisés en 1791, dans le remodelage du tissu urbain, et la qualité des interventions urbaines sous la Restauration, qui n'est nulle part une époque de stagnation : boulevards tracés sur les anciennes fortifications, mais lotissement plus exceptionnel de l'emprise du château Trompette ; poursuite des équipements édilitaires (cimetière, fontaines, marchés), mais, parmi eux, dès 1800, de curieux abris à colonnettes de fonte ; multiplication des théâtres, nouveau palais de justice, édifices industriels (entrepôts Lainé, 1822-1824 ; manufacture de tabac, 1825), et un passage (la galerie bordelaise, 1830-1837), enfin construction de l'hôpital Saint-André avec des pavillons isolés, disposés en peigne autour d'une cour, qui réalise précocement (1821-1829) le nouvel idéal hygiéniste.

Pour l'architecture religieuse,[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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