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PILNIAK BORIS (1894-1937)

Libération linguistique

Stylistiquement Pilniak appartient à la descendance de Gogol et de Leskov. Son œuvre s'est formée sous l'influence direct des deux promoteurs de la grande transformation de la prose russe du xxe siècle, A. M. Remizov et A. Biely. L'imitation de Biely va parfois jusqu'au plagiat, par exemple dans le Récit de Pétersbourg(Povest' Peterburgskaja), où se superposent la Russie du xviie siècle, la Chine du xxe siècle, et la Russie révolutionnaire. Les refrains passent d'un thème à l'autre, assurant l'unité du récit. Les époques se mélangent : « Les siècles s'abattent lentement comme des jeux de cartes. » Il se crée, comme dans le Pétersbourg de Biely l'impression d'une lente et inexorable invasion de la Russie par l'Orient, par la Chine. Les villes russes anciennes avaient toutes un Kremlin et une « ville chinoise ». Pour Pilniak, cette « ville chinoise » est une véritable obsession. Elle symbolise l'invasion nocturne de l'Orient. Dans les collages de Pilniak interviennent tous les styles possibles, il collectionne les mots rares, locaux, désuets, réservés aux métiers. Il a dit de lui-même qu'il aimait les mots comme un numismate les pièces de monnaie. Les néologismes sont nombreux dans son œuvre, et souvent très pittoresques. En cela aussi il est l'apprenti de Remizov et l'élève de Biely. Son originalité n'en est pas moins grande. Il y a dans son style quelque chose de spécifiquement exubérant, et pour ainsi dire de rabelaisien. La critique contemporaine n'a souvent retenu de cette exubérance que l'accusation de pornographie qui n'est pas justifiée. Mais il est certain qu'il a introduit dans la littérature russe une inhabituelle liberté linguistique dans ce domaine Le sexe fait partie de l'univers « zoologique », comme disait le critique Polonski, qui est celui de Pilniak. Un aspect beaucoup moins connu de cette invention linguistique se rapporte à ses hymnes à la machine, à l'américanisme de la jeune république soviétique. Pour l'édition de ses œuvres complètes en 1929, Pilniak dut récrire quelques-uns de ses récits, et il supprima par exemple, dans Ivan et Maria, la célèbre phrase que prononce la tchékiste : « Je sens que toute la révolution a une odeur d'organes sexuels. » Ivan Moskva, qui date de 1927, est remarquable à la fois par la hardiesse du sujet et par l'expérimentation linguistique. C'est peut-être le récit le plus typique de l'écrivain, à la charnière entre le romantisme du chaos et la célébration de l'industrialisation. Ivan Moskva est un ingénieur persuadé que l'avenir de l'humanité réside dans la force de l'atome. Il travaille à une mine d'uranium. Mais une antique malédiction pèse sur lui : la syphilis. Malédiction et promesse de l'avenir sont réunis dans le thème étrange de la momie égyptienne radioactive que Moskva a achetée, et dont il ne se sépare plus, jusqu'à sa mort en avion.

Petit bourgeois de la révolution, ou véritable chantre du renouvellement ? Pilniak a été considéré diversement par ses contemporains, avant de tomber dans l'oubli réservé aux victimes des purges. Réhabilité, partiellement réédité, il a fait une timide réapparition dans les encyclopédies soviétiques dans les années 1970. En Occident il reste peu connu car, il faut le dire, traduire Pilniak est une gageure : les néologismes, les proverbes, les citations de vieilles chroniques, les dialectismes de toutes sortes, les innombrables déformations populaires sont autant d'obstacles. Cependant, Pilniak reste, avec Babel, une des plus extraordinaires expressions de la révolution russe. Ses récits, qui n'ont ni commencement ni fin, constituent une sorte d'immense chronique de la révolution. Par son tempérament exubérant, et certainement cynique,[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève

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