BORROMINI (1599-1667)
La fièvre de bâtir
En 1634, désireux de sortir de son rôle d'obscur collaborateur, Borromini offre gratuitement ses services à l'ordre espagnol des trinitaires déchaussés et dirige la construction de leur couvent sur le Quirinal, au carrefour des Quatre-Fontaines (1634-1636), édifice modeste, où il met en œuvre un vocabulaire simple et abstrait de bandes en ressaut (lésènes), mais où le petit cloître, avec son rythme binaire et ses angles convexes, témoigne déjà de son goût pour les solutions ingénieuses et inédites. En février 1638 s'engagent les travaux de leur église, Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines (1638-1641), dont la façade, tardivement commencée en 1665 et seulement à demi-achevée à sa mort, devait être sa dernière grande œuvre ; mais neuf mois plus tôt avaient débuté les travaux de l'oratoire des Philippins, ordre créé par saint Philippe Neri, second chantier qui assure sa gloire.
Consulté en janvier 1637 à propos du dessin de l'Oratoire, proposé par Paolo Maruscelli, architecte de la Congrégation, Borromini séduit les Philippins par l'ingéniosité de ses solutions et impose ses vues. Bâtie rapidement à côté de la Chiesa Nuova, la chapelle de l'Oratoire est inaugurée le 15 août 1640 et la façade achevée en 1642. Pierre de Cortone avait déjà proposé en 1634 une façade convexe pour l'église Saint-Luc-et-Sainte-Martine, mais Borromini renouvelle plus complètement la typologie traditionnelle en construisant sa façade sur un mouvement plus complexe, convexe-concave, et ce qui était jeu plastique devient forme symbolique, image de l'église accueillante ouvrant ses bras aux fidèles. Parallèlement, Borromini remanie et agrandit le couvent – réfectoire et première cour (1638-1643) –, dont les travaux se poursuivent jusqu'en 1652. Borromini noue alors des liens étroits avec Virgilio Spada (1596-1662), préposé à la conduite du chantier, dont l'appui constant et la riche culture humaniste vont jouer un rôle décisif dans l'orientation de ses recherches architecturales comme dans sa carrière.
En 1632, Borromini avait été nommé architecte de la Sapience, principal établissement d'enseignement laïc de Rome. Ce poste était resté purement nominal pendant dix ans en dépit du vœu exprès de Bernin qui l'avait recommandé, mais en 1642 il est chargé de construire, derrière l'hémicycle de la cour bâti par Giacomo della Porta, une chapelle, Saint-Yves-de-la-Sapience (juin 1643-septembre 1644, inachevé), où, comme à Saint-Charles, il renouvelle profondément la typologie du plan centré.
Parallèlement à ces trois grands chantiers, Borromini est chargé de multiples travaux plus modestes ou sans suite (décors à Sainte-Lucie-in-Selci, 1638-1643, projets pour le palais Carpegna, 1638-1643, façade de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, 1643-1646). En 1644, Innocent X Pamphili succède à Urbain VIII. Protégé des Barberini, déconsidéré par l'affaire des campaniles de Saint-Pierre qui menacent ruine, Bernin tombe en disgrâce. Soutenu par Virgilio Spada, nommé aumônier du pape, et par le clan espagnol, Borromini devient l'architecte du nouveau pape qui n'a malheureusement ni la culture humaniste de son prédécesseur ni la fièvre de bâtir de son successeur. En 1646, il est chargé de la plus grande entreprise architecturale du pontificat, la modernisation de la basilique paléo-chrétienne Saint-Jean-de-Latran pour l'échéance du jubilé de 1650, et il réussit en enveloppant les colonnes de marbre dans un rythme subtil de pilastres d'ordre colossal.
La même année 1646, il est aussi nommé architecte de la congrégation pour la Propagation de la foi. Ses plans pour le palais de la Congrégation, place d'Espagne, sont acceptés en 1647.
Borromini travaille encore au palais Falconieri, via Giulia (1646-1656), et au palais Spada, où il bâtit une curiosité,[...]
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Écrit par
- Claude MIGNOT : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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