BORROMINI (1599-1667)
« Je ne suis pas né pour être copiste »
En 1720-1725, au moment où le succès européen de l'esthétique rococo favorise à Rome une sorte de revival borrominesque, Sebastiano Giannini entreprend de publier son œuvre complet : la Sapience (Opera del Cavaliere Borromini, Rome, 1720), l'oratoire des Philippins avec le commentaire de V. Spada (Opus architectonicum, Rome, 1725), et Saint-Charles, dont il n'existe qu'un exemplaire. Le corpus des dessins sauvés, acquis à Rome en 1730 par le baron Philipp von Stosch, est conservé aujourd'hui à la bibliothèque Albertina de Vienne.
Autour de l'œuvre de Borromini se noue très tôt une polémique qu'on ne peut réduire à l'opposition entre classicisme français et baroque italien. Si pour les puristes français son œuvre est le comble de la bizarrerie, dans le contexte même de la culture romaine du xviie siècle Borromini apparaît comme un « hérétique ». Dans sa Vie du Bernin, publiée en 1682, Filippo Baldinucci rapporte que ce dernier approuva un prélat qui lui disait ne pouvoir souffrir les architectes qui, comme Borromini, sortent des règles et semblent s'inspirer du style gothique plutôt que du bon moderne et de l'antique, « disant qu'il est moins mal d'être un mauvais catholique qu'un bon hérétique ».
La filiation reconnue par Chantelou et par Fréart de Chambray entre les licences de Michel-Ange et les extravagances de Borromini n'est pas fausse. Borromini défend son droit à l'invention en se plaçant sous l'autorité du grand maître, dont il se veut l'héritier : « Toutes les fois que je parais m'éloigner des dessins communs, écrit-il dans l'avis au lecteur de l'Opus architectonicum, qu'on se rappelle ce que disait Michel-Ange, le Prince des Architectes : qui suit les autres ne marche jamais devant ; je n'aurai pas embrassé cette profession pour être seulement copiste, bien que je sache qu'à inventer des choses nouvelles on ne peut recevoir avant longtemps le fruit de son travail. »
Comme Michel-Ange, Borromini refuse l'esthétique de l'imitation, que défendent les puristes français ou son rival, Bernin ; comme Michel-Ange, il trouve une incitation à l'invention dans la variété même de l'architecture antique, variété qui trouble au contraire les classiques à la recherche d'une beauté idéale, qui aurait été déformée par les siècles. Rappelant une visite faite en compagnie de Borromini, des fouilles ouvertes devant Saint-Louis-des-Français, où avait été exhumé un grand chapiteau, l'antiquaire romain Orfeo Boselli conclut : « Nous fûmes très satisfaits de cette preuve artistique en voyant avec quelle belle nouveauté et quelle variété les Anciens traitèrent l'architecture. »
Bien des irrégularités de Borromini n'apparaissent telles que parce que nous avons intériorisé les valeurs épurées du classicisme ; elles témoignent moins d'un anticlassicisme que d'un classicisme plus large, sensible aux espaces complexes et à la variété des architectures du Bas-Empire. Lié à un milieu d'antiquaires, Borromini possédait dans sa riche bibliothèque (plus de mille volumes) une copie rare des Antiquités romaines de Pirro Ligorio, et devait connaître les dessins de Montano dont le premier recueil, Divers Petits Temples antiques, paraît en 1624.
Dans l'Opus architectonicum, Borromini justifie constamment ses partis constructifs par des exemples antiques : le parement de briques minces de la façade de l'Oratoire s'inspire, explique-t-il, d'une grande tour romaine hors la porte du Peuple, et l'implantation biaise des piliers de celle des piliers d'un temple qu'on venait de fouiller. Quelques-unes de ses formes les plus irrégulières (les plus « baroques ») s'appuient en fait sur des modèles antiques, publiés ou inédits, qui retiennent son[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Claude MIGNOT : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média
Autres références
-
BAROQUE
- Écrit par Claude-Gilbert DUBOIS , Pierre-Paul LACAS et Victor-Lucien TAPIÉ
- 20 831 mots
- 23 médias
Borromini a été le virtuose de la ligne et du volume en mouvement. Sauf à Saint-Jean-de-Latran, il n'est pas l'architecte, ni le sculpteur des proportions colossales, mais son extraordinaire ingéniosité a introduit dans le baroque romain une veine originale de grâce et de subtilité, un avantage donné... -
BERNIN GIAN LORENZO BERNINI dit LE CAVALIER (1598-1680)
- Écrit par Claude MIGNOT
- 2 511 mots
- 14 médias
... (1663-1666), qu'il orne d'une statue équestre de Constantin (1654-1670) et qu'il anime d'une colonnade en perspective accélérée comme Borromini l'avait fait au palais Spada (1652). Mais s'il imite ici Borromini, son architecture prend généralement le contre-pied de celle de son rival,... -
CLASSIQUE ARCHITECTURE
- Écrit par Claude MIGNOT
- 4 847 mots
- 5 médias
...Pour d'autres au contraire, il convient non d'imiter, mais d'inventer, et la variété de l'architecture antique est une provocation à l'invention : « Avec quelle variété les Anciens ont-ils traité l'architecture ! », s'écrieBorromini, qui déclare n'être pas né pour être un « copiste ». -
CLOÎTRES
- Écrit par Léon PRESSOUYRE
- 5 514 mots
- 3 médias
...l'expression d'une éthique propre à un ordre monastique. La pensée de Bramante règne sans partage au cloître de Sainte-Marie-des-Grâces de Milan. La tension de l'espace, au cloître de Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines, à Rome, appartient en propre au style de Borromini. L'architecte réinvente... - Afficher les 8 références