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SANSAL BOUALEM (1949- )

Une écriture qui évolue

Boualem Sansal n’a cessé d’avancer les mêmes idées depuis qu’il écrit. C’est plutôt dans l’écriture de ses romans qu’on peut noter une évolution et une assez grande diversité. Pendant quelques années, il exprime ses dénonciations sur un mode le plus souvent drolatique, dans un langage haut en couleur d’une franche crudité. On a parlé souvent à son propos de truculence rabelaisienne, une comparaison peu pertinente, dans la mesure où Rabelais était porté par le grand optimisme joyeux de la Renaissance, dont il n’existe pas d’équivalent dans la vision du monde de Boualem Sansal. Il n’est d’ailleurs pas l’inventeur de ce style, sorte de gouaille féroce à l’algérienne, qu’il doit en partie à Rachid Boudjedra et à Rachid Mimouni, et qui, d’une manière générale, semble une invention propre aux écrivains de ce pays (ainsi qu’à son peuple) pour dire les traumatismes dramatiques et les déceptions insoutenables. De plus, il y a chez Boualem Sansal un véritable goût du style picaresque, manière de dire une société qui, si elle est superficiellement encadrée par la modernité démocratique, doit encore beaucoup au mode de vie médiéval et pour le dire d’un mot clé, à celui qui se trouve évoqué dans Les Mille et Une Nuits.

Progressivement, et notamment à partir de Harraga (2005), Boualem Sansal adopte des formes de narration et un vocabulaire beaucoup plus classiques que celui qui marque ses débuts. Il est probable que cette évolution est due au désir d’atteindre une plus grande lisibilité, et c’est en effet à partir de ce moment que ses lecteurs se déclarent particulièrement touchés dans leur sensibilité. Ce que la langue de l’écrivain a partiellement perdu en drôlerie et en inventivité, elle l’a gagné en émotion et en vérité. On a parfois l’impression que son modèle narratif se rapproche des Misérables de Victor Hugo, avec la même utilisation de thèmes mélodramatiques et populaires, développant notamment la vision de jeunes femmes souillées et détruites, et d’enfants qui dans le meilleur des cas ne sont sauvés que par une adoption inespérée. Boualem Sansal sait conjuguer le recours à l’émotion avec une curiosité pour la diversité du monde, qu’elle passe par l’histoire ou la géographie. S’il est loin de renier ses imprécations et sa fougue de virulent polémiste, il ne s’enferme pas dans ce rôle. Aux préjugés officiels de son pays, il préfère opposer la générosité d’une vision du monde humaniste. Et, pour dire ses craintes, il sait aussi emprunter la voie de la fable et du mythe (2084 : la fin du monde, 2015 ; Le Train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu, 2018).

— Denise BRAHIMI

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, professeure agrégée des Universités (littérature comparée), université de Paris-VII-Denis-Diderot

Classification

Média

Boualem Sansal - crédits : Eric Fougere/ Corbis Entertainment/ Corbis/ Getty Images

Boualem Sansal

Autres références

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  • MAGHREB - Littératures maghrébines

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    ...déjà reconnus, comme Maïssa Bey avec Puisque mon cœur est mort (2010), Nourredine Saadi et La Maison de lumière (2000) ou La Nuit des origines (2005). Boualem Sansal, dont l’entrée en littérature fut fracassante avec Le Serment des barbares (1999), confirme sa position d’œuvre en œuvre (Dis-moi...