BOUCHER DE PERTHES (J.)
Une reconnaissance tardive
Il appartient à Boucher de Perthes – alors âgé de plus de cinquante ans – de continuer ces recherches dans la basse vallée de la Somme, en les situant dans le cadre de ce qu’il nomme désormais l’« archéogéologie ». La découverte dans les terrasses anciennes de Menchecourt-près-Abbeville, puis au Banc de l’Hôpital, de « haches » taillées associées à des ossements de mammifèresfossiles, fait l’objet en 1845 d’un mémoire, De l’industrie primitive,dans lequel il démontre l’âge « antédiluvien » des objets manufacturés. En 1847, un nouveau volume distingue dès son titre Antiquités celtiques (les industries les plus récentes) et antédiluviennes (celles qui sont contemporaines des faunes éteintes). Il attendra en vain l’approbation de l’Académie des sciences qu’il avait sollicitée.
C’est d’Angleterre que vient la reconnaissance. Des géologues, paléontologues et archéologues anglais (Joseph Prestwich, Charles Lyell, Hugh Falconer, John Evans) font en 1859 le voyage d’Abbeville. Ils attestent que les haches taillées de Menchecourt et de Saint-Acheul près d’Amiens sont bien « travaillées de la main de l’Homme » et stratigraphiquement associées aux ossements d’animaux éteints. Grâce à ce soutien, les idées de Boucher de Perthes finissent par être présentées en France à l’Académie des sciences par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Édouard Lartet et Albert Gaudry en 1859 et 1860. Les trois volumes de ses Antiquités celtiques et antédiluviennes publiés en 1849, 1857 et 1864, attestent de ses combats et de son triomphe final. Reconnu et célébré à près de soixante-dix ans, Boucher de Perthes participe en 1862 à la fondation du musée de Saint-Germain-en-Laye (aujourd’hui Musée d’archéologie nationale), auquel il lègue une partie de ses collections. Il meurt le 5 août 1868 à Abbeville, après avoir parcouru toute l’Europe et l’Afrique du Nord dans des voyages au cours desquels il diffuse ses idées et ses découvertes.
Malgré de multiples tentatives, Boucher de Perthes ne fut d’aucune académie. La maladresse de ses dessins et le caractère fantaisiste de nombreuses pièces lithiques, faux ou « pierres figures » représentés dans ses livres à côté de silex taillés authentiques, expliquent pour une part le discrédit attaché à ses thèses. D’autres aspects de sa pensée furent dépassés, même de son vivant. L’« homme antédiluvien » fut rapidement oublié au profit de l’homme préhistorique, et la mâchoire de Moulin-Quignon, découverte en 1863 et discutée par tout un aréopage de savants, fut finalement reconnue comme un faux et délaissée pour des fossiles plus authentiques, néandertaliens ou de Cro-Magnon. Enfin, la métaphysique nébuleuse de son évolutionnisme spiritualiste fut dépassée par les approches transformistes qui s’imposèrent en France, non sans difficulté, au cours des dernières décennies du siècle.
L’œuvre de Boucher de Perthes fut pilonnée au lendemain de sa mort par sa famille. Si elle est un peu oubliée, elle n’en témoigne pas moins d’un épisode majeur de l’histoire des sciences. Sa démarche, qui mêle fantaisie et rigueur, imagination et raison, révèle aussi la part de rêve qui entoure, à ses débuts et aujourd’hui encore, les sciences de l’origine et de l’évolution humaine.
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Écrit par
- Claudine COHEN : professeure d'université, directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris
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