GUYANES BOUCLIER DES
La Guyane intérieure amérindienne
Sur chaque cours d'eau se succèdent des biefs et des rapides ; au-delà de ces premiers « sauts » qui bloquent la remontée des navires, commence la Guyane proprement dite, par opposition à la Caribane côtière. Ce toponyme d'origine amérindienne est le seul, en Amérique du Sud, à couvrir une surface aussi vaste.
La géographie sacrée du « Pays des mille eaux »
Au début du xxe siècle, on recensa plus de quatre-vingt-quatorze étymologies pour le terme Guyane (Williams, 1904), dont les plus courantes décrivent un « pays des mille eaux », « une planète » ou un « pays sans nom ».
Les cultures les plus anciennes identifiées en Guyane ne sont pas situées en marge du territoire mais en son cœur. Les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique occupent depuis 10 000 ans les savanes intérieures. Les horticulteurs Koriabo (Rostain, 2003) évoluent dans la zone forestière et sur la côte depuis 1100, et des agriculteurs barrancoïdes (350-650) et arauquinoïdes (600-1300) aménagent le littoral. Il est difficile de dire si cette imbrication des cultures provient d'une diffusion historique centrifuge ou s'il s'agit d'une stratégie de complémentarité des milieux à grande échelle. L'insularité de la Guyane semble avoir été non seulement connue, mais entretenue et alimentée par les sociétés traditionnelles. Pour celles-ci, les îles forment un territoire coupé du monde des vivants, le domaine des rêves et des morts où l'on va enterrer les siens. La Guyane toute entière tire sa sacralité de cette paradoxale insularité que l'on retrouve à toutes les échelles (île de Cayenne, île de Maracá, île de Marajó...).
Malgré leur sacralité, les paysages forestiers guyanais ne constituent pas des espaces naturels vierges, protégés de l'empreinte de l'homme. Au contraire, leur composition fut profondément et précocement modifiée par l'action des sociétés amérindiennes. La forêt tropicale humide constitue l'essentiel de la couverture végétale guyanaise. Elle fait partie de la grande forêt tropicale qui couvre 4 % de la planète (935 millions d'hectares) et constitue, sinon un poumon pour la planète, du moins une « mémoire » génétique absolument vitale, puisqu'on estime qu'elle regroupe à elle seule 50 % des espèces animales et végétales. Là où elle n'a pas été vidée de ses habitants, la forêt est un territoire construit, approprié, maîtrisé par le travail et par le verbe. L'appropriation des paysages forestiers passe par un vaste travail toponymique. Les sociétés forestières ont profondément transformé le faciès botanique grâce aux systèmes de rotation des déboisements. La base de l'alimentation est le manioc, parfois secondé par la banane plantain (chez les Yanomami, répartis entre le Roraima et le Venezuela). La chasse et la pêche sont des activités complémentaires de l'agriculture. Dans le contexte animiste (Descola, 2005) de la « domesticulture » (domestication d'un écosystème tout entier), la lisière entre champs cultivés et forêt n'existe pas. La différence entre le naturel et le culturel, entre l'homme et l'animal restent ainsi invisibles.
Le « Pays sans nom » aux frontières de la colonisation européenne
Au début du xxie siècle, le partage colonial est encore inachevé dans l'intérieur des terres. La faiblesse du contrôle étatique, d'un côté, permet l'enracinement et la croissance des sociétés amérindiennes, et de l'autre, elle les met en danger. Ainsi, dix-sept groupes réunissant 143 519 personnes sont localisés sur les frontières, souvent contestées, entre États. Avec un total de 1 150 kilomètres de frontières en litige (soit 15,6 % de la longueur totale de ses frontières), la Guyane représente le tiers des conflits frontaliers en Amérique latine.[...]
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Écrit par
- Emmanuel LÉZY : maître de conférences en géographie à l'université de Paris-X-Nanterre
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