BOURBAKI NICOLAS (XXe s.)
Unité de la mathématique
La première originalité de Bourbaki, et qui est sans doute dans une large mesure la raison de son succès, est dans sa constitution polycéphale. Ce nom recouvre en effet une libre association de mathématiciens, presque tous français, qui ont accepté de travailler ensemble à la composition des « éléments ». On y entre par cooptation, mais on en sort librement, et, en principe, automatiquement dès qu'on a dépassé l'âge de cinquante ans. Les fondateurs désignés par la tradition sont H. Cartan, C. Chevalley, J. Delsarte, J. Dieudonné et A. Weil. Ils sont tous anciens élèves de l'École normale supérieure de Paris, et ils ont appartenu à des promotions voisines. En dehors de leur travail collectif, sous leur nom propre, ils ont tous contribué de façon essentielle aux progrès de la mathématique contemporaine. Puisqu'ils ont beaucoup insisté sur cette question, signalons qu'ils se sont déclarés disciples et admirateurs de l'école mathématique allemande dominée par D. Hilbert, et cela en opposition avec les principaux courants dominants de la mathématique en France, à l'époque de la fondation du groupe.
Bourbaki a élaboré une méthode de travail commandée par le principe de l'unité de la mathématique (et non des mathématiques). On va mettre en évidence, en confrontant l'expérience de mathématiciens travaillant dans des domaines différents, ce qui est important pour tous et, en conséquence du principe d'unité, fondamental. À cette fin, un rapporteur est chargé de rédiger un exposé d'ensemble d'une partie de la mathématique contemporaine, qui semble « bourbakisable », c'est-à-dire susceptible d'être incorporée aux Éléments. Bourbaki examine alors ce travail de synthèse. Si l'état de la question semble le permettre, un rédacteur est chargé de la rédaction « bourbachique », et il soumet son travail achevé aux autres bourbakistes. Le manuscrit est alors impitoyablement critiqué dans des réunions spécialement organisées à cette fin. Il faut décider en effet de ce qui est important et de ce qui ne l'est pas. Il faut décider du choix des axiomes et de leur forme, de la rédaction des démonstrations. Ce travail peut demander des années et, généralement, plusieurs rédacteurs se succèdent. Dans quelques cas, devant la difficulté d'établir un texte ayant l'agrément général, Nicolas Bourbaki a été obligé de publier des « fascicules de résultats » permettant de poursuivre la publication de l'ensemble en attendant le compromis sur l'ouvrage contesté. Cette volonté permanente de déterminer ce qui est important et ce qui ne l'est pas, en fonction de l'unité d'ensemble de la mathématique, est certainement le deuxième trait fondamental de l'originalité de Bourbaki.
Un troisième trait, moins important mais fort remarqué, réside dans son vocabulaire. Nicolas Bourbaki a délibérément choisi ses mots dans le langage courant, en en changeant évidemment complètement la signification : il faut se reporter aux axiomes et aux définitions antérieures pour la connaître. Puisque, dans sa conception axiomatique, le sens de la mathématique est indépendant du langage, il s'estime libre sur le plan du vocabulaire et choisit en fonction de la commodité, de l'élégance des sons, ou pour faire un jeu de mots. Par exemple, dans la théorie des espaces localement convexes, un tonneau est un ensemble convexe, cerclé, fermé et absorbant.
On peut dire que l'influence de Nicolas Bourbaki dans la mathématique contemporaine a été considérable. Ses concepts ont été très largement adoptés et son vocabulaire a été suivi (donc traduit) dans tous les pays. Il a réellement joué le rôle de réunificateur qu'il souhaitait atteindre. Cela parce qu'il a su recueillir l'héritage des courants modernes de la mathématique[...]
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Écrit par
- André MARTINEAU : professeur à la faculté des sciences de Nice
Classification
Média
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